Actua­li­tés

Entre­tien profes­sion­nel : une année char­nière pour les entre­prises

Quels sont les enjeux de l’en­tre­tien profes­sion­nel ? Comment être sur de bien respec­ter ses obli­ga­tions de forma­tion vis à vis de ses sala­riés ?

Par Johann VIDA­LENC – Le 8 janvier 2021

Les prochains mois risquent d’être mouve­men­tés pour les fonc­tions RH des entre­prises. En effet, c’est le moment pour elles de justi­fier du respect de leur obli­ga­tion de forma­tion vis à vis de leurs sala­riés dans le cadre des entre­tiens profes­sion­nels. 

Les premiers états de lieux réca­pi­tu­la­tifs pour les sala­riés qui ont plus de six ans d’an­cien­neté dans l’en­tre­prise, doivent en effet avoir lieu en 2021. Ces sala­riés repré­sentent une propor­tion signi­fi­ca­tive des effec­tifs, notam­ment dans les grandes entre­prises !

A la clé de cette obli­ga­tion, il y a bien sûr un enjeu de compé­ti­ti­vité pour l’em­ployeur, mais égale­ment des risques finan­ciers non négli­geables. 

De quoi parle-t-on ?

En 2014 nais­sait l’en­tre­tien profes­sion­nel (loi du 05.03.2014) pour répondre aux enjeux forts asso­ciés aux compé­tences. Celui-ci a pour but de faire un point sur les pers­pec­tives d’évo­lu­tion profes­sion­nelle du sala­rié et de détec­ter ses besoins en forma­tion.

Il doit être réalisé tous les deux ans à partir de la date d’em­bauche (sauf dispo­si­tion conven­tion­nelle modi­fiant la pério­di­cité).

⚠️ Pour certaines situa­tions parti­cu­lières (congé mater­nité, arrêt mala­die long…) un entre­tien profes­sion­nel doit être impé­ra­ti­ve­ment proposé au moment de la reprise d’ac­ti­vité.

Au bout de 6 ans, un état des lieux réca­pi­tu­la­tif est réalisé (on parle d’en­tre­tien profes­sion­nel renforcé) et peut conduire à des sanc­tions si certaines condi­tions ne sont pas remplies (voir condi­tions de confor­mité). On parle ainsi d’obli­ga­tion sexen­nale” (= sur 6 ans).

📅 La première échéance était initia­le­ment fixée à Mars 2020 mais a été repor­tée par deux fois en raison de la crise sani­taire. L’em­ployeur a ainsi la possi­bi­lité de déca­ler les entre­tiens profes­sion­nels et l’état des lieux jusqu’à fin Septembre 2021 en raison du contexte sani­taire (loi de gestion de la sortie de l’état d’ur­gence sani­taire).

Pourquoi un entre­tien profes­sion­nel ?

En amont de cette créa­tion, il y a un constat simple et sans appel : les sala­riés ont un accès inéga­li­taire à la forma­tion et aux évolu­tions profes­sion­nelles. C’est notam­ment le cas en fonc­tion :

  • du type d’em­ploi occupé et du statut (cadre/non cadre) 
  • du niveau d’études 
  • du secteur d’ac­ti­vité 
  • d’autres facteurs discri­mi­na­toires (sexe, handi­cap…) 

Cette inéga­lité s’ins­crit dans un contexte où les compé­tences deviennent rapi­de­ment obso­lètes, et où l’em­ploya­bi­lité des sala­riés peut rapi­de­ment dimi­nuer si aucune action n’est effec­tuée.

Le rôle de l’en­tre­prise est alors de main­te­nir et de déve­lop­per cette employa­bi­lité pour des raisons légales, sociales mais aussi de compé­ti­ti­vité.

Le public concerné

L’en­tre­tien profes­sion­nel concerne tous les sala­riés :

  • en CDI, CDD, contrat de travail tempo­raire, contrat aidé, alter­nance
  • travaillant à temps plein ou temps partiel,
  • dans toutes les entre­prises et tous les secteurs d’ac­ti­vité.

Toute­fois, l’état des lieux réca­pi­tu­la­tif (et donc les sanc­tions asso­ciées) ne concerne que les entre­prises de plus de 50 sala­riés.

Les condi­tions de confor­mité

Pour répondre à ses obli­ga­tions l’em­ployeur doit répondre à 2 condi­tions cumu­la­tives lors de l’état des lieux réca­pi­tu­la­tif :

  1. Les 3 entre­tiens ont bien été réali­sés sur les 6 ans (le 3ème étant l’en­tre­tien réca­pi­tu­la­tif).
  2. Le sala­rié a béné­fi­cié d’au moins une action de déve­lop­pe­ment des compé­tences sur la période (exclu­sion des forma­tions obli­ga­toires et régle­men­taires).

Une forma­tion est dite obli­ga­toire unique­ment lorsqu’elle est contrainte par un texte de loi qui l’im­pose à l’em­ployeur. Il y en a 2 caté­go­ries :

les forma­tions obli­ga­toires d’hy­giène et de sécu­rité et celles concer­nant d’autres habi­li­ta­tions et certi­fi­ca­tions régle­men­taires.

Cette action doit répondre à la défi­ni­tion d’une action de forma­tion, et exclut de fait :

  • les sessions d’in­for­ma­tion : les webi­naires et les confé­rences
  • le coaching
  • la simple mise à dispo­si­tion de ressources péda­go­giques
  • le micro lear­ning, qui sert à infor­mer/accul­tu­rer : les MOOC, le e-lear­ning non tutoré

Un droit d’op­tion

Lors de l’état des lieux réca­pi­tu­la­tif, et ce jusqu’à fin Septembre 2021, l’em­ployeur béné­fi­cie d’un droit d’op­tion. Il peut choi­sir de faire valoir les critères qui préva­laient avant 2018. 

Pour répondre à son obli­ga­tion il doit alors démon­trer, en plus de la tenue des entre­tiens profes­sion­nels, que le sala­rié a béné­fi­cié d’au moins 2 des 3 dispo­si­tions suivantes : 

  • forma­tion (qu’elle soit obli­ga­toire ou non)
  • acqui­si­tion d’un élément de certi­fi­ca­tion
  • progres­sion sala­riale et profes­sion­nelle

Ce droit d’op­tion peut s’ap­pliquer à l’échelle indi­vi­duelle ou au niveau de l’en­semble des sala­riés.

Le CPF co-construit valo­ri­sable dans le cadre de l’obli­ga­tion de forma­tion de l’em­ployeur

Dans la mesure où l’em­ployeur contri­bue à l’ac­tion de forma­tion du sala­rié de manière pécu­niaire, ou en temps, le CPF co-construit permet de répondre à l’obli­ga­tion de forma­tion de l’em­ployeur dans le cadre du bilan à 6 ans.Pour cela il faut pouvoir la docu­men­ter et en appor­ter la preuve
  • Cas 1 : Lorsqu’elle réalise un abon­de­ment via l’or­ga­nisme de forma­tion, une conven­tion est établie et l’en­tre­prise dispose d’élé­ments de traça­bi­lité fourni par l’OF
  • Cas 2 : Lorsque l’en­tre­prise auto­rise le sala­rié à se former sur temps de travail, un accord mana­gé­rial est forma­lisé. L’en­tre­prise n’a en revanche pas accès aux éléments de traça­bi­lité émis par l’or­ga­nisme. L’idée est alors de pouvoir complé­ter avec un écrit de la part du sala­rié mention­nant qu’il s’en­gage à suivre la forma­tion et infor­mer l’em­ployeur en cas d’im­pos­si­bi­lité de suivre tota­le­ment ou partiel­le­ment la forma­tion.
  • Cas 3 : L’en­tre­prise réalise une dota­tion direc­te­ment sur le compte CPF du sala­rié via l’es­pace EDEF. C’est la même situa­tion que le cas 2 en terme de forma­li­sa­tion.

Les moda­li­tés de réali­sa­tion des actions de forma­tion

La forma­tion peut être réali­sée aussi bien via un orga­nisme de forma­tion externe que par le biais de la forma­tion interne.

La forma­tion interne se carac­té­rise par l’uti­li­sa­tion de ressources propres à l’en­tre­prise (sala­riés, moyens péda­go­giques, locaux…). L’em­ployeur est alors le maître d’oeuvre de la forma­tion, en défi­nit les théma­tiques, les objec­tifs et les moda­li­tés péda­go­giques. 

Par ailleurs l’ac­tion de forma­tion peut prendre la forme de :

  • Forma­tion en présen­tiel 🧑‍🏫
  • Forma­tion à distance 👨‍💻
  • Forma­tion en situa­tion de travail (AFEST) 👩‍🔬
  • Forma­tion hybride ou blen­ded 🧑‍🏫 +👨‍💻 (voire +👩‍🔬)

Les sanc­tions

Si les 2 condi­tions ne sont pas réunies, l’em­ployeur doit réali­ser un abon­de­ment correc­tif de 3000 € sur le compte CPF du sala­rié via l’l’Es­pace des Employeurs et des Finan­ceurs (EDEF). On parle offi­ciel­le­ment de dota­tion dite « droits correc­tifs ».

En cas de contrôle par l’ins­pec­tion du travail ou de la DGEFP, et si l’abon­de­ment n’a pas été opéré, l’en­tre­prise devra verser le double de l’in­suf­fi­sance consta­tée au trésor public, soit 6 000 €/sala­rié concerné. Cette somme ne sera due qu’après une phase contra­dic­toire et en cas d’ab­sence de mise en confor­mité de l’en­tre­prise.

Les sanc­tions se fondent sur le constat des éléments réali­sés au moment de l’état des lieux réca­pi­tu­la­tif. Il appar­tient donc à l’em­ployeur de véri­fier que les condi­tions pour chaque sala­rié sont remplies.

Toute­fois, le refus du sala­rié d’une des dispo­si­tions peut consti­tuer un motif légi­time pour l’em­ployeur afin de se prému­nir d’une éven­tuelle sanc­tion.

Refus du sala­rié

Le sala­rié peut refu­ser de se présen­ter à l’en­tre­tien profes­sion­nel : il s’agit en effet d’une obli­ga­tion pour l’em­ployeur mais d’une simple faculté pour le sala­rié. Il est conseillé à l’em­ployeur de convoquer le sala­rié et lui deman­der de moti­ver son refus, ou de plani­fier un nouvel entre­tien. Si le sala­rié main­tient son refus, l’em­ployeur ne peut pas être inquiété, car il aura rempli son obli­ga­tion mini­male. Cepen­dant, il devra conser­ver la preuve du refus du sala­rié pour éviter une éven­tuelle sanc­tion.

Dans le cas où une déci­sion de forma­tion est prise par l’em­ployeur, le sala­rié ne peut en prin­cipe pas refu­ser de la suivre. Il s’agit en effet du pouvoir de direc­tion de l’em­ployeur. En cas de refus, l’em­ployeur peut être amené à convoquer le sala­rié et à le sanc­tion­ner. L’em­ployeur doit égale­ment conser­ver la preuve du refus afin de se prému­nir d’une sanc­tion.

⚠️ Certains motifs de refus du sala­rié sont toute­fois légi­times : forma­tion hors temps de travail, VAE ou bilan de compé­tences imposé, théma­tiques à tendance sectaires ou encore consé­quences impac­tantes sur le contrat de travail et la vie person­nelle (forma­tion loin du domi­cile sur une longue durée par exem­ple…).

Cas d’une action de forma­tion non termi­née lors du bilan à 6 ans

Selon les textes, le sala­rié doit avoir « béné­fi­cié d’au moins une forma­tion » (hors forma­tion obli­ga­toire) au cours des 6 dernières années. On pour­rait inter­pré­ter qu’une forma­tion débu­tée, mais non termi­née au moment du bilan à 6 ans puisse être valo­ri­sable, mais la posture présen­tant le moins de risque pour l’em­ployeur est de s’as­su­rer que la forma­tion a bien été suivie jusqu’au bout par le sala­rié au moment de l’en­tre­tien bilan des 6 ans.   

On peut toute­fois imagi­ner que la forma­tion n’a pas été à son terme à l’ini­tia­tive du sala­rié. Il appar­tient donc dans ce cas à l’em­ployeur de tracer et docu­men­ter ce refus de pour­suivre la forma­tion afin de se couvrir en cas de contes­ta­tions ou de contrôles.

Illus­tra­tions

Voici 4 cas de figures volon­tai­re­ment cari­ca­tu­raux permet­tant d’illus­trer cette obli­ga­tion de l’em­ployeur.

1. Le cas idéal : le respect de l’obli­ga­tion par l’em­ployeur

Dans la première confi­gu­ra­tion idéale, l’em­ployeur respecte les deux critères : la tenue des 3 entre­tiens et l’ac­tion de déve­lop­pe­ment des compé­tences.

Il satis­fait donc son obli­ga­tion : il n’y a pas de sanc­tion.

2. Un cas problé­ma­tique : l’ab­sence d’ac­tion de forma­tion 

Dans ce deuxième cas, l’em­ployeur respecte le critère des 3 entre­tiens profes­sion­nels, mais pas celui de la mise en place d’ac­tion de déve­lop­pe­ment des compé­tences.

L’abon­de­ment de 3 000 € doit donc être effec­tué sur le compte CPF du sala­rié.

3. Autre situa­tion à risque : la non-tenue des 3 entre­tiens profes­sion­nels 

Pour cette troi­sième situa­tion, l’em­ployeur a bien mis en place une action de déve­lop­pe­ment de compé­tences. En revanche seuls 2 des 3 entre­tiens obli­ga­toires ont été effec­tués.

Là encore, l’abon­de­ment de 3 000 € doit être effec­tué sur le compte CPF du sala­rié. 

4. Le cas déro­ga­toire : le choix des anciens critères jusqu’à fin Septembre 2021

Enfin, le dernier cas illustre la possi­bi­lité offerte à l’em­ployeur jusqu’au 30 Septembre 2021 de remplir ses obli­ga­tions avec les critères qui préva­laient avant 2018.

Les 3 entre­tiens profes­sion­nels ont bien été réali­sés, et le sala­rié a pu béné­fi­cier au cours des 6 ans d’une forma­tion obli­ga­toire, ainsi que d’une promo­tion avec augmen­ta­tion sala­riale.

Même en l’ab­sence d’ac­tion de déve­lop­pe­ment des compé­tences, le sala­rié a béné­fi­cié d’au moins 2 des dispo­si­tions prévues.

L’em­ployeur respecte donc ici ses obli­ga­tions.

Une juris­pru­dence qui change tout ?

Une déci­sion du 20 décembre 2020 de la Cour d’Ap­pel de Paris a statué que pour que les péna­li­tés soient appli­cables, il faut que l’em­ployeur n’ait satis­fait à aucune de ses deux obli­ga­tions (entre­tiens + forma­tions). Si une des deux obli­ga­tions a été réali­sée, la péna­lité ne s’ap­plique pas.
La raison de cette juris­pru­dence est un problème d’écri­ture au niveau de l’ar­ticle de loi.

Cette déci­sion qui pour­rait appor­ter davan­tage de souplesse aux entre­prises est à l’op­posé de l’in­ter­pré­ta­tion du Minis­tère du travail et devra être confirmé par d’autres déci­sions à l’ave­nir.

Entre­tiens profes­sion­nels et forma­tions : le point sur l’obli­ga­tion sexen­nale

Comment être sur de bien respec­ter ses obli­ga­tions de forma­tion vis à vis de ses sala­riés ?

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