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La tragé­die de Kodak : le conflit de modèle d’af­faires

Vous connais­sez tous la tragé­die Kodak. Regar­dons comment le conflit exis­tant dans son modèle d’af­faires a provoqué sa chute.

Par Philippe Silber­zahn – Le 24 avril 2017

L’in­no­va­tion et la rupture sont bien souvent une ques­tion de modèle d’af­faires. Pour mieux appré­hen­der cette notion complexe, inté­res­sons-nous au cas de l’en­tre­prise Kodak.



Extrait de la vidéo de forma­tion MOOC Inno­va­tion de Rupture

L’échec de Kodak n’est dû ni au chan­ge­ment trop rapide, ni au manque de vision, ni au manque d’exé­cu­tion, ni au manque de ressources. Alors à quoi est-il dû ? Et bien la raison est liée au modèle d’af­faires de l’en­tre­prise. Rappe­lez-vous, nous avons vu que la rupture est une ques­tion de modèle d’af­faires et non pas de tech­no­lo­gie.



Un modèle d’af­faires encom­brant

Regar­dons donc le modèle d’af­faire de Kodak, disons en 1995. Pourquoi 1995 ? Parce-que c’est le début de la révo­lu­tion numé­rique et que c’est là que se prennent les déci­sions qui vont déci­der ou non de la réus­site sur ce marché nais­sant. Le moment est donc crucialLes premiers appa­reils ont été lancés, et plus personne n’ignore cette rupture.

Main­te­nant, étudions comment Kodak gagne de l’ar­gent dans l’argen­tique ? En vendant des films valant quelques euros sur lesquels la marge est très élevée. Il s’agit de consom­mables, ache­tés régu­liè­re­ment par les consom­ma­teurs et vendus au travers d’un réseau de détaillants comme des super­mar­chés ou des bureaux de tabac. Pour réus­sir, Kodak dispose de ressources-clés, comme des labo­ra­toires de recherche, des usines de films et un réseau de labo­ra­toires de déve­lop­pe­ment de films pour ses clients. Ses compé­tences-clés sont autour de la chimie. Ses concur­rents sont des entre­prises comme Fuji ou Agfa.



Un modèle numé­rique en contra­dic­tion

Main­te­nant que nous avons observé le modèle d’af­faire de Kodak dans l’ar­gen­tique, regar­dons le modèle du numé­rique.

Comment Kodak gagne-t-elle de l’ar­gent dans le numé­rique ? En vendant un appa­reil valant, à l’époque, plusieurs milliers d’eu­ros et sur lequel l’en­tre­prise ne fait qu’une faible marge. En raison du prix, l’ap­pa­reil est vendu par des détaillants spécia­li­sés. Pour réus­sir, Kodak doit dispo­ser de ressources-clés qui sont une usine d’ap­pa­reils photos. Ses compé­tences-clés sont l’élec­tro­nique et le logi­ciel. Ses concur­rents sont Nikon et Canon, par exemple.

Qu’est-ce que nous voyons ici ? Les deux modèles n’ont rien à voir. Rien de ce qui fait la force de Kodak dans l’ar­gen­tique n’est utile dans le numé­rique. Tout ce qui est néces­saire pour réus­sir dans le numé­rique est nouveau pour Kodak. C’est en ce sens que le numé­rique est disrup­tif pour Kodak : il néces­site un modèle d’af­faires entiè­re­ment diffé­rent du modèle de son acti­vité actuelle.

Autre­ment dit, dans le numé­rique, Kodak n’est qu’un débu­tant parmi d’autres. Les comp­teurs sont remis à zéro.



Deux modèles d’af­faires conflic­tuels

Mais en outre il y a conflit. Tout inves­tis­se­ment dans l’un des deux modèles est inutile pour l’autre modèle. Or il faut bien choi­sir où l’in­ves­tis­se­ment doit aller. Si on recrute un infor­ma­ti­cien, on ne recrute pas un chimiste. Plus géné­ra­le­ment, tout inves­tis­se­ment dans l’un se fera aux dépends d’un inves­tis­se­ment dans l’autre. C’est vrai pour toutes les unités d’af­faires, mais ici ce conflit clas­sique est rendu encore plus diffi­cile parce que l’un des deux, le numé­rique, est très éloi­gné du cœur d’ac­ti­vité actuel. « Ce n’est pas nous » en quelque sorte.

Il faut noter que pour les fabri­cants d’ap­pa­reils argen­tiques comme Canon, le numé­rique n’est pas une rupture : intro­duire un appa­reil numé­rique néces­site un fort inves­tis­se­ment tech­no­lo­gique, mais ne modi­fie pas le modèle d’af­faire des fabri­cants. Ils conti­nuent à vendre des appa­reils. 

Le numé­rique est donc disrup­tif pour Kodak qui a bâti son modèle d’af­faires sur la vente de pelli­cules photo­gra­phiques, mais pas pour Canon.



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