Le coin des experts

Un désin­té­rêt ration­nel pour la rupture

Décou­vrez quels sont les obstacles prin­ci­paux qui empêchent une entre­prise de saisir une oppor­tu­nité de rupture et d’in­no­ver.

Par Philippe Silber­zahn – Le 2 mai 2017

Pourquoi les entre­prises ont elles autant de diffi­culté à saisir les oppor­tu­ni­tés de rupture qui s’offrent à elles ? Voyons quels sont les prin­ci­paux freins au chan­ge­ment et à l’in­no­va­tion.

Extrait de la vidéo de forma­tion MOOC Inno­va­tion de Rupture

En cas de rupture, la diffi­culté se situe au niveau du modèle d’af­faires. Mais qu’est-ce exac­te­ment qu’un modèle d’af­faires ? On cantonne souvent cette notion à la manière dont l’en­tre­prise gagne sa vie, mais c’est beau­coup plus que cela. Le modèle d’af­faires, c’est la logique de créa­tion de valeur. Un modèle d’af­faire se compose d’une propo­si­tion de valeur, qui déter­mine si un client va choi­sir l’en­tre­prise ou une offre rivale. C’est ce que voit le client.


La créa­tion d’un modèle d’af­faires déter­miné

Pour mettre en œuvre cette propo­si­tion de valeur, l’en­tre­prise doit mobi­li­ser des ressources – des machines, des employés notam­ment, des proces­sus – son savoir-faire, et des valeurs – les prio­ri­tés qu’elle se donne pour réus­sir. C’est ce qu’on appelle le modèle RPV pour Ressources, proces­sus et valeurs.

Au démar­rage de l’en­tre­prise, c’est la propo­si­tion de valeur qui va déter­mi­ner quelles ressources, proces­sus et valeurs on va créer. 

Mais une fois que l’en­tre­prise gran­dit, les RPV se stabi­lisent. Ils défi­nissent ce qu’est l’en­tre­prise, son iden­tité. Mais il défi­nissent donc aussi ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire. Car norma­le­ment, si elle a bien choi­sis ses RPV, ceux-ci sont bien adap­tés à l’op­por­tu­nité visée et donc, néces­sai­re­ment, inadap­tés à une autre oppor­tu­nité. Les RPV finissent donc par contraindre l’en­tre­prise en défi­nis­sant les propo­si­tions de valeur qu’elle va être capable d’of­frir.



Le cloi­son­ne­ment dans son modèle d’af­faires

Imagi­nons un fabri­cant d’im­pri­mantes laser pour grandes entre­prises. Il dispose d’une force de vente directe qui négo­cie des contrats de taille impor­tante. Le prin­ci­pal critère de perfor­mance, pour des clients qui impriment de gros volumes, est le coût par page. L’orien­ta­tion client amène donc à amélio­rer sans cesse cette perfor­mance, et c’est ce qui est demandé à la R&D.

Imagi­nons main­te­nant que la R&D propose une nouvelle tech­no­lo­gie, le jet d’encre. La qualité est moindre, l’im­pres­sion est plus lente, mais l’im­pri­mante est dix fois moins chère. En revanche, le coût par page est plus élevé. Cette tech­no­lo­gie a un grand avenir, mais est-ce que l’en­tre­prise sera inté­res­sée?

Proba­ble­ment pas: ses clients grandes-entre­prises n’en voudront pas. Sa force de vente ne sera pas moti­vée, et il sera diffi­cile d’iden­ti­fier quels types de clients pour­raient être inté­res­sés. Dit autre­ment, cette oppor­tu­nité néces­site une propo­si­tion de valeur, et donc des RPV qui sont diffé­rents de ceux de l’en­tre­prise.

Dans cet exemple, on voit pourquoi le désin­té­rêt pour l’op­por­tu­nité de rupture – ici l’im­pri­mante à jet d’encre – est ration­nel. Ce n’est pas une hosti­lité à l’in­no­va­tion, c’est que cette oppor­tu­nité n’a pas de sens pour l’en­tre­prise car le marché ne corres­pond pas du tout à ses capa­ci­tés.



Un désin­té­rêt qui se retrouve au niveau indi­vi­duel

Nous venons de voir, avec l’exemple du fabri­cant d’im­pri­mantes et le modèle RPV, que la diffi­culté est le désin­té­rêt ration­nel de l’en­tre­prise pour l’op­por­tu­nité de rupture. Mais au delà de l’en­tre­prise c’est toute l’or­ga­ni­sa­tion, y compris ses colla­bo­ra­teurs, qui éprouve un désin­té­rêt ration­nel pour l’op­por­tu­nité de rupture.

Regar­dons comment cela fonc­tionne avec un exemple fictif, celui de Sophie.

Sophie est une jeune commer­ciale, très sensible au message du PDG de l’en­tre­prise qui incite à l’in­no­va­tion. “Tous inno­va­teurs” tel est son slogan.

Un jour, Sophie rentre de chez un client avec une idée de nouveau produit. Elle va voir son mana­ger pour lui présen­ter son idée et lui deman­der de pouvoir la déve­lop­per.

Quelle va être la réac­tion du mana­ger? Alors première version: le mana­ger, sensible lui aussi au slogan “Tous inno­va­teurs”, encou­rage vive­ment Sophie et lui permet de consa­crer deux jours par semaine à son idée en lui allouant même un budget pour démar­rer. Est-ce plau­sible?

Pas vrai­ment. Ce qui va plutôt se passer est la réac­tion suivante : C’est très bien Sophie, mais en atten­dant tu as 5 clients à rappe­ler, deux propo­si­tions commer­ciales à boucler, et une réunion avec le contrôle de gestion qui veut nos prévi­sions sur l’an­née prochaine.

Imagi­nons que Sophie soit déter­mi­née et se lance quand-même. Du coup, elle rate des ventes. Elle n’at­teint pas ses objec­tifs. Arrive la revue de fin d’an­née, et elle se passe mal.

Est-ce que le mana­ger de Sophie est contre l’in­no­va­tion? Non, mais il a lui-même des contraintes de perfor­mance. Si Sophie n’at­teint pas ses objec­tifs, il n’at­teint pas les siens non plus, et les consé­quences peuvent être sévères.

On a donc un désa­li­gne­ment entre l’in­ten­tion stra­té­gique (“Tous inno­va­teurs”) et les valeurs de l’en­tre­prise (en l’oc­cur­rence la pres­sion des résul­tats). Tant que ce désa­li­gne­ment persis­tera, l’in­no­va­tion ne pourra pas se déve­lop­per.


Ce qu’il faut rete­nir

L’at­trac­ti­vité d’une oppor­tu­nité est une notion rela­tive. Une oppor­tu­nité est donc à évaluer en rela­tion avec les  ressources, proces­sus et valeurs d’une orga­ni­sa­tion. Or ces RPV ont été défi­nis et opti­mi­sés pour une oppor­tu­nité donnée, celle de l’ac­ti­vité actuelle de l’or­ga­ni­sa­tion. Par défi­ni­tion, une oppor­tu­nité de rupture va néces­si­ter des RPV diffé­rents, il y a donc conflit entre les deux du point de vue de l’or­ga­ni­sa­tion.

On retien­dra donc que l’in­no­va­tion ne se produit pas non pas parce que les colla­bo­ra­teurs ou les mana­gers sont contre, mais parce que les RPV – ici les valeurs – sont un obstacle quelles que soient la bonne volonté de chacun.


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