Rappelons, pour commencer, que si la formation professionnelle fait en France l’objet d’une obligation légale de dépenses pour les entreprises, qui y consacrent d’importants budgets, il n’est en revanche pas obligatoire d’évaluer ces actions de formation.
Pour autant, l’absence de contraintes légales ne saurait être le seul élément expliquant la faiblesse de l’évaluation de l’efficacité de la formation professionnelle en France.
Chercher à évaluer l’efficacité de la formation professionnelle implique une activité réflexive. Cette démarche nécessite en premier lieu d’identifier les parties-prenantes impliquées dans les actions de formation. Il faut ainsi se demander :
En se posant ces premières questions, l’évaluateur est en mesure de spécifier son action, d’adapter son protocole et ses indicateurs d’évaluation.
Illustrons le propos.
En France, l’État est un acteur central de la formation professionnelle. Il détermine le cadre légal des actions menées et les encourage auprès des différents acteurs concernés. Ses objectifs sont, entre autres, de généraliser le recours à la formation professionnelle afin de réduire le chômage, de faciliter l’accès à l’emploi ou encore de maintenir l’employabilité et de sécuriser les parcours professionnels de ceux en emploi (Béduwé, 2015).
Pour une entreprise, l’investissement en formation peut être orienté vers deux grands types de finalités (Véro & Sigot, 2017) :
Au sein de l’entreprise, les responsables des ressources humaines ou les responsables de formation concrétisent ces directives générales. Ils doivent être en mesure de sélectionner et de constituer un catalogue de formations pertinent pour répondre aux besoins de formation identifiés des salariés (et les recueillir en amont) tout en répondant aux objectifs économiques de l’entreprise (en termes de coûts et de stratégies).
De leur côté, les individus qui se forment poursuivent généralement deux grands types objectifs :
Enfin, pour des concepteurs de formation, experts ou formateurs, l’objectif recherché dans la production d’une formation est bien de permettre une montée en compétences des futurs inscrits en proposant un dispositif pédagogique soutenant l’apprentissage.
Lorsque l’on considère les différentes parties prenantes de la formation, on comprend que chacun poursuit des objectifs qui leur sont propres. Il existe une diversité de motifs, justifiant l’investissement en formation, qui ne peuvent être mises sur le même plan. Il est donc difficile de parler de manière générique de “l’efficacité de la formation professionnelle”. Abid-Zarrouk distingue, à ce titre, l’”efficacité institutionnelle” de l’”efficacité individuelle” (2013). En résumé, l’efficacité d’une formation professionnelle apparaît être éminemment relative aux objectifs poursuivis par chacun des acteurs impliqués dans une formation professionnelle.
Mais la difficulté de l’évaluation ne tient pas à la seule identification des parties prenantes, de leurs objectifs et de l’identification des dimensions à évaluer. Chomienne (1999) explique qu’« estimer l’efficacité » signifie examiner dans quelle mesure les objectifs prévus par un « processus » sont atteints. Il faut ainsi pouvoir déterminer les méthodologies adaptées, sélectionner les indicateurs pertinents à leur évaluation.
On peut à ce titre distinguer deux grands types d’indicateurs : les indicateurs externes et les indicateurs internes.
Les indicateurs externes de la formation professionnelle permettent d’évaluer les effets suscités suite à une action de formation. Selon les acteurs concernés, ces indicateurs peuvent varier.
Au regard des politiques menées par les pouvoirs publics, des indicateurs tels le taux d’accès à la formation, le taux de diplômés ou de certifiés au sein d’une population de référence (une génération, une cohorte, l’ensemble des salariés) ou encore le taux d’insertion peuvent être des indicateurs externes utilisés pour déterminer l’efficacité d’une politique de formation.
Pour une entreprise, l’usage du ROI (Return On Investment, ou retour sur investissements en français) ou du ROE (Return On Expectation, retour sur les attentes en français) permet d’estimer l’impact de la formation sur des indicateurs financiers ou chiffrés (chiffre d’affaires, croissance de l’entreprise, croissance de vente, etc.). Ils conduisent à une estimation du différentiel entre les coûts et les gains générés par la formation. Pour un responsable de formation ou de ressources humaines, des indicateurs estimant la satisfaction des salariés permettent d’établir la pertinence de l’offre de formation proposée.
Pour les individus, l’évaluation externe du passage par la formation peut être réalisée à l’aide d’indicateurs objectifs tels que le changement professionnel (de statut, d’emploi, l’accès à l’emploi, etc.) ou encore la progression du salaire. Mais elle peut aussi être appréhendée à l’aide de méthodes qualitatives permettant d’apprécier l’effet de la formation sur un ensemble de dimensions plus subjectives telles le sentiment de montée en compétences, l’effet de la formation sur l’épanouissement au travail, la réconciliation d’aspirations de formation insatisfaites, etc.
Les indicateurs internes permettent, quant à eux, d’évaluer l’apprentissage des participants et ainsi l’efficacité d’une formation du point de vue de l’acquisition de connaissances et de compétences. Plusieurs types d’évaluations (Petitjean, 1984) peuvent être utilisés et articulés à différents moments par les concepteurs pédagogiques :
Ces évaluations se réalisent au début ou pendant l’action de formation.
La catégorisation proposée par Kirkpatrick offre un exemple d’articulation de ces différents indicateurs (1959). Il distingue à ce titre quatre grands niveaux d’évaluation de la formation professionnelle continue (plus ou moins complexes à mettre en oeuvre) :
Le niveau 1 : la réaction
L’évaluation de la réaction des salariés à l’issue de l’expérience de formation, par une mesure de la satisfaction (aussi appelée évaluation “à chaud”) pour déterminer l’appréciation par les salariés de l’expérience de formation.
Le niveau 2 : l’apprentissage
L’évaluation de l’acquisition des compétences ou connaissances visées pendant la formation.
Le niveau 3 : le transfert
L’évaluation du transfert de ces compétences, de leur réutilisation dans le contexte professionnel (aussi appelée évaluation “à froid”) permettant d’établir si les participants ont, à l’issue d’une formation, appliqué les compétences et connaissances visées par celle-ci.
Le niveau 4 : les résultats
L’évaluation de l’impact externe de la formation sur la performance économique du salarié et de l’entreprise.
Cette catégorisation est l’une des méthodes les plus connues en matière d’évaluation de la formation professionnelle (Gilibert & Gillet, 2010) et l’ouvrage de Pottiez présente à ce titre des exemples riches à son utilisation (2017).
Évaluer l’efficacité d’une formation nécessite donc de déterminer si les objectifs fixés par l’une ou plusieurs des parties prenantes de la formation ont été atteints à l’issue d’une action de formation, dans une temporalité plus ou moins longue, grâce à l’utilisation d’un ou plusieurs indicateurs adaptés.
Mais l’acte d’évaluation consiste aussi à identifier le rôle spécifique de la formation dans l’atteinte de ces objectifs. Autrement dit, évaluer nécessite de mesurer la part de responsabilité de la formation dans la réussite, de pouvoir identifier le rôle tenu par la formation dans l’atteinte des objectifs alors même que d’autres facteurs environnementaux peuvent interférer et l’influencer (Béduwé, 2015).
Actuellement, l’évaluation de l’efficacité de la formation professionnelle en France, bien que partielle sous certains aspects, est réalisée de différentes manières selon les acteurs qui la mettent en oeuvre.
D’une manière générale, la majorité des entreprises en France organisent une action de formation pour leurs salariés.
Aussi, si près d’un salarié sur deux en France suit chaque année une formation, on ne sait pas grand chose sur qualité de ces actions (France Stratégie, 2015), menées par l’entreprise ou réalisées par l’un des 59 000 organismes de formation répertoriés en France.
De plus, de nombreux salariés restent dans l’impossibilité de se former ou, parmi ceux qui y sont parvenus, plus du tiers des salariés expliquent avoir eu des difficultés pour se former. Près d’un quart des salariés français expriment des besoins de formation non satisfaits (Lambert & Marion-Vernoux, 2014). L’accès à la formation professionnelle reste par ailleurs fortement déterminé par certaines caractéristiques individuelles (telles le niveau de diplôme, le genre ou encore l’âge) et de l’entreprise (la taille, le secteur d’activité, les politiques des ressources humaines, etc.).
Les entreprises ne mettent que faiblement en place des évaluations, et lorsqu’elles le font, l’usage du modèle Kirkpatrick n’est que très partiel (Gilibert & Gillet, 2010).
En effet, parmi les entreprises formatrices en France, 66% se contentent d’évaluer la satisfaction à l’issue de la formation.
Elles ne sont que 40% à mettre en place un dispositif pour évaluer l’acquisition de la compétence et, en 2010, seule une entreprise sur cinq a cherché à évaluer l’impact des actions de formation sur les performances économiques (Beraud, 2015). Ces résultats corroborent ceux de l’enquête réalisée auprès des 120 premières entreprises françaises cotées en Bourse (Monnot, 2014).
D’une manière générale, les pratiques d’évaluation de la formation professionnelle en France restent partielles et semblent conditionnées par la difficulté de leur mise en oeuvre (Beraud, 2015; Gilibert & Gillet, 2010; Monnot, 2014). Mais elles sont aussi dépendantes d’enjeux internes aux organisations questionnant de fait leur objectivité, voire leur efficacité pour les salariés. Les pratiques d’auto-évaluation de la satisfaction sont, par exemple, plus fréquentes lorsque les services RH ont déjà confiance dans leurs pratiques de formation ou lorsqu’elles n’ont que peu de moyens financiers et techniques (Monnot, 2014).
Par ailleurs, la plupart de ces démarches d’évaluations ne tiennent pas compte de l’existence des facteurs déterminants l’accès et l’efficacité de la formation, alors que ceux-ci sont stables et mis au jour depuis plusieurs décennies en France (Frétigné, 2013; Dubar, 2004 ; Lambert & Marion-Vernoux, 2014).
Ces enquêtes révèlent en effet que les caractéristiques individuelles (telles le niveau de diplôme, le genre, l’âge, etc.), les caractéristiques de l’emploi occupé (la catégorie socioprofessionnelle, le type de contrat de travail, le temps de travail, etc.) ou encore de l’entreprise employeur (la taille, le secteur d’activité, le domaine, etc.) conditionnent l’entrée, le suivi et les effets du passage par la formation. Ces enquêtes réalisées au niveau national et européen et exploitées par, entre autres, le Céreq, la Dares ou l’INSEE, montrent l’existence d’une certaine inefficacité du système de formation professionnelle, à l’aide d’indicateurs externes, au regard des objectifs d’une généralisation de l’accès ou d’une égale possibilité de tous les actifs de s’en saisir.
Enfin, concernant les effets suscités par le passage en formation pour les salariés, si des bénéfices subjectifs sont rapportés, l’impact sur les évolutions de carrières, promotions salariales ou mobilités professionnelles ne fait pas consensus. Frétigné relève qu’il existe un effet de la formation sur la mobilité ascendante en interne, mais la formation n’est pas la seule à expliquer ces évolutions professionnelles rencontrées par le salarié. Elle est conditionnée par le fait d’exercer à temps plein, d’être un homme et d’avoir moins de 50 ans (Frétigné, 2013). Finalement, « l’entrée en formation est une condition de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante pour « progresser » professionnellement » (Frétigné et de Lescure, 2007, p. 41). D’autres travaux montrent cependant que la formation continue n’a pas un effet significatif sur la mobilité sociale ascendante des individus (Fougère et al., 2001 ; Blasco et al., 2009). À l’inégal accès à la formation professionnelle s’ajoute une incertitude sur les effets conférés par le passage en formation.
Évaluer l’efficacité d’une formation professionnelle relève d’une action complexe qui peut expliquer sa faible mise en oeuvre. Elle implique d’avoir au préalable identifié les différentes parties prenantes et leurs objectifs, de penser et d’identifier les méthodes et indicateurs d’évaluation adaptés à ceux-ci, d’établir la temporalité du protocole d’évaluation (en amont, pendant et/ou après la formation) en vue de mettre au jour l’effet propre suscité par l’action de formation. Il s’agit d’un processus respectant un modèle global.
La démarche d’évaluation nécessite une démarche réflexive et une certaine forme d’expertise : savoir identifier les objectifs, construire et identifier les outils adaptés, justifier les choix réalisés pour y parvenir, identifier l’existence d’impacts de la formation et interpréter les résultats obtenus. Autant de dimensions qui peuvent constituer un frein à sa mise en oeuvre. Mais il faut aussi signaler que l’évaluation de la formation professionnelle, malgré ses enjeux stratégiques, peut aussi ne pas être souhaitée par les acteurs impliqués (Pottiez, 2017). Ces derniers n’ont en effet pas nécessairement intérêt à identifier les résultats suscités par les actions qu’ils mettent en oeuvre, des bénéfices ou échecs auxquelles elles conduisent (Monnot, 2014).
Or, sa mise en oeuvre n’a jamais été aussi stratégique et déterminante. L’évaluation permet un passage à l’action. Sans elle ou avec un seul taux de satisfaction, il n’est guère possible de comprendre le sens ou les effets suscités par le passage en formation ! Elle mène à l’identification des axes d’amélioration, rend possible des prises de décisions propices à la progression de son efficacité, à une croissance des impacts pour les salariés et les entreprises. C’est ce que résume finalement bien Jonathan Pottiez : “mesurer pour comprendre, comprendre pour agir” (2017, p. 69). Dans un contexte de tensions économiques, de rationalisation des investissements, l’évaluation est une étape incontournable. Elle est une alliée des services de formation. Il s’agit d’une condition sine qua non de la qualité, de la pertinence et de l’efficacité des actions de formation au sein des entreprises.
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