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La qualité de la forma­tion profes­sion­nelle : évolu­tions légales et enjeux

Un nouveau cap sera fran­chi à hori­zon 2021 avec la nouvelle loi sur la qualité

Par Éléo­nore Vrillon – Le 7 juin 2019

Après la trans­po­si­tion des normes de qualité du secteur des services au secteur de la forma­tion profes­sion­nelle  (norme ISO), l’en­trée en vigueur de normes françaises sur la qualité des actions de forma­tion (normes NF), l’émer­gence de diffé­rentes certi­fi­ca­tions et labels qualité en France, l’en­trée en vigueur de la loi 2014, un nouveau cap sera fran­chi à hori­zon 2021 avec la nouvelle loi sur la qualité. 
La qualité, défi­nie au sens large comme “l’en­semble des carac­té­ris­tiques d’un produit ou d’un service qui lui confèrent l’ap­ti­tude à satis­faire les besoins expri­més ou des besoins expri­més ou impli­cites (…) du client” (ISO/DIS 8402) selon les normes ISO, est progres­si­ve­ment spéci­fiée et élar­gie pour prendre en compte les diffé­rentes parties prenantes de la forma­tion. 
Regar­dons ensemble les prin­ci­pales évolu­tions induites par cette nouvelle loi pour les Orga­nismes Pres­ta­taires d’Ac­tions concou­rant au déve­lop­pe­ment des Compé­tences (OPAC) et ouvrons le débat sur ses possibles consé­quences.

Les prin­ci­pales évolu­tions intro­duite par la réforme

La notion de qualité dans la forma­tion profes­sion­nelle avait été intro­duite avec la loi du 5 mars 2014 (décret n°2015–790 du 30 juin 2015). Elle se trouve à présent renfor­cée dans le cadre de la réforme de la forma­tion profes­sion­nelle amor­cée par la loi pour la “Liberté de choi­sir son avenir profes­sion­nel” du 5 septembre 2018. 

Les évolu­tions du cadre légal concer­nant la qualité de la forma­tion profes­sion­nelle

Reve­nons briè­ve­ment sur les évolu­tions susci­tées par ce décret en présen­tant l’an­cienne et la nouvelle version de cette norme qualité. 


La norme qualité de la loi du 5 mars 2014

Avec la loi du 5 mars 2014, les orga­nismes de forma­tion profes­sion­nelle doivent désor­mais justi­fier de la qualité des actions de forma­tions finan­cées par les contri­bu­tions légales. La défi­ni­tion et la véri­fi­ca­tion de cette qualité passent par la satis­fac­tion de 6 critères, détaillés en 21 indi­ca­teurs (Tableau 1).

Pour pouvoir béné­fi­cier d’un finan­ce­ment mutua­lisé auprès d’un orga­nisme public, l’or­ga­nisme de forma­tion profes­sion­nelle doit appor­ter les preuves du respect de chacun de ces indi­ca­teurs justi­fiant ainsi de la qualité des actions de forma­tions réali­sées. Le respect de ces critères de qualité n’est en revanche pas néces­saire si aucun finan­ce­ment des actions de forma­tion n’est solli­cité par l’em­ployeur.

Les orga­nismes de forma­tion ont deux manières de procé­der pour appor­ter ces preuves : 

  • Remplir direc­te­ment les grilles d’éva­lua­tions mises en place par les finan­ceurs de forma­tion

  • Se munir et justi­fier d’une certi­fi­ca­tion qualité ou d’un label inscrit et publié par le Conseil Natio­nal de l’Em­ploi, de la Forma­tion et de l’Orien­ta­tion Profes­sion­nelle (CNEFOP) 

Tableau 1 : Critères et indi­ca­teurs de qualité (loi du 5 mars 2014, décret n°2015–790 du 30 juin 2015)


 - Décrire les moyens et supports mis à dispo­si­tion des stagiaires


Critères

Indi­ca­teurs

Critère 1 

L’iden­ti­fi­ca­tion précise des objec­tifs de la forma­tion et son adap­ta­tion au public formé

– Produire un programme détaillé pour l’en­semble de son offre, l’ex­pri­mer en capa­cité ou compé­tence visée

– Infor­mer sur les moda­li­tés de person­na­li­sa­tion des parcours propo­sés selon le niveau des indi­vi­dus (pré-requis)

– Décrire et attes­ter de l’adap­ta­tion des moda­li­tés péda­go­giques aux objec­tifs de la forma­tion

– Décrire les procé­dures de posi­tion­ne­ment à l’en­trée et d’éva­lua­tion à la sortie

Critère 2 

L’adap­ta­tion des dispo­si­tifs d’ac­cueil, de suivi péda­go­gique et d’éva­lua­tion aux publics de stagiaires

– Décrire les moda­li­tés d’ac­cueil et d’ac­com­pa­gne­ment

– Décrire les confor­mi­tés et l’adap­ta­tion de ses locaux

– Décrire son propre proces­sus d’éva­lua­tion conti­nue

– Décrire les moda­li­tés de contrôle de l’as­si­duité des stagiaires adap­tées aux diffé­rents formats péda­go­giques

– Décrire l’éva­lua­tion conti­nue des acquis du stagiaire

Critère 3 

L’adé­qua­tion des moyens péda­go­giques, tech­niques et d’en­ca­dre­ment à l’offre de forma­tion

– Décrire les moyens d’en­ca­dre­ments péda­go­giques et tech­niques

Critère 4 

La quali­fi­ca­tion profes­sion­nelle et la forma­tion conti­nue des person­nels char­gés des forma­tions

– Produire et mettre à jour une base des expé­riences et quali­fi­ca­tions des forma­teurs

– Attes­ter des actions de forma­tion conti­nue du corps de forma­teurs / forma­teur indé­pen­dant

– Produire les réfé­rences (dispo­sez-vous de réfé­rences clients)

Critère 5 

Les condi­tions d’in­for­ma­tion du public sur l’offre de forma­tion, ses délais d’ac­cès et les résul­tats obte­nus

– Capa­cité à commu­niquer sur son offre de forma­tion

– Capa­cité à produire des indi­ca­teurs de perfor­mance

– Capa­cité à contrac­tua­li­ser avec les finan­ceurs

– Capa­cité à décrire son péri­mètre de marché

Critère 6

La prise en compte des appré­cia­tions rendues par les stagiaires

– Produire des évalua­tions systé­ma­tiques et forma­li­sées des actions de forma­tion auprès des stagiaires

– Décrire les moda­li­tés de recueil de l’im­pact des actions auprès des pres­crip­teurs de l’ac­tion

– Parta­ger les résul­tats des évalua­tions avec les parties prenantes (forma­teurs, stagiaires, finan­ceurs, pres­crip­teur) dans un proces­sus d’amé­lio­ra­tion conti­nue


La norme qualité de la loi du 5 septembre 2018

Le dernier décret vient enri­chir cette première norma­li­sa­tion de la qualité. On passe en effet de 6 critères détaillés en 21 indi­ca­teurs, à 7 critères décom­po­sés en 32 indi­ca­teurs dont 10 critères spéci­fiques (Tableau 2). Le nouveau critère prend la place du sixième critère. Il a trait à “l’ins­crip­tion du pres­ta­taire dans son envi­ron­ne­ment socio-écono­mique” et se décom­pose en six indi­ca­teurs. 

Tableau 2 : Critères et indi­ca­teurs de qualité (décret en cours d’exa­men suite à la loi du 5 septembre 2018 ; article du code du travail L. 6316–1)

Critères

Indi­ca­teurs

Critère 1 

L’in­for­ma­tion des publics sur les pres­ta­tions, les délais d’ac­cès et les résul­tats obte­nus. (ancien critère 5 retra­vaillé)

– Le pres­ta­taire diffuse une infor­ma­tion acces­sible au public, détaillée et véri­fiable sur les pres­ta­tions propo­sées : prérequis, objec­tifs, durée, moda­li­tés et délais d’ac­cès, tarifs, contacts, méthodes mobi­li­sées et moda­li­tés d’éva­lua­tion, acces­si­bi­lité aux personnes handi­ca­pées

– Le pres­ta­taire diffuse des indi­ca­teurs de résul­tats adap­tés à la nature des pres­ta­tions mises en œuvre et des publics accueillis

– Lorsque le pres­ta­taire met en œuvre des pres­ta­tions condui­sant à une certi­fi­ca­tion profes­sion­nelle, il informe sur les taux d’ob­ten­tion des certi­fi­ca­tions prépa­rées, les possi­bi­li­tés de vali­der un/ou des blocs de compé­tences, ainsi que sur les équi­va­lences, passe­relles, suites de parcours et les débou­chés

Critère 2 

L’iden­ti­fi­ca­tion précise des objec­tifs des pres­ta­tions et leur adap­ta­tion aux publics béné­fi­ciaires lors de la concep­tion des actions. (ancien critère 1 retra­vaillé)

– Le pres­ta­taire analyse le besoin du béné­fi­ciaire en lien avec l’en­tre­prise et/ou le finan­ceur concerné(s)

– Le pres­ta­taire défi­nit les objec­tifs opéra­tion­nels et évaluables de la pres­ta­tion

– Le pres­ta­taire établit les conte­nus et les moda­li­tés de mise en œuvre de la pres­ta­tion, adap­tés aux objec­tifs défi­nis et aux publics béné­fi­ciaires

– Lorsque le pres­ta­taire met en œuvre des pres­ta­tions condui­sant à une certi­fi­ca­tion profes­sion­nelle, il s’as­sure de l’adé­qua­tion du ou des conte­nus de la pres­ta­tion aux exigences de la certi­fi­ca­tion visée. 

– Le pres­ta­taire déter­mine les procé­dures de posi­tion­ne­ment et d’éva­lua­tion des acquis à l’en­trée de la pres­ta­tion

Critère 3 

L’adap­ta­tion des pres­ta­tions et des moda­li­tés d’ac­cueil, d’ac­com­pa­gne­ment, de suivi et d’éva­lua­tion aux publics béné­fi­ciaires lors de la mise en œuvre des actions. (même critère retra­vaillé)

– Le pres­ta­taire informe les publics béné­fi­ciaires sur les condi­tions de dérou­le­ment de la pres­ta­tion

– Le pres­ta­taire met en œuvre et adapte la pres­ta­tion, l’ac­com­pa­gne­ment et le suivi aux publics béné­fi­ciaires

– Le pres­ta­taire évalue l’at­teinte par les publics béné­fi­ciaires des objec­tifs de la pres­ta­tion

– Le pres­ta­taire décrit et met en œuvre les mesures pour favo­ri­ser l’en­ga­ge­ment des béné­fi­ciaires et préve­nir les aban­dons.

– Lorsque le pres­ta­taire met en œuvre des forma­tions en alter­nance, le pres­ta­taire, en lien avec l’en­tre­prise, anti­cipe avec l’ap­pre­nant les missions confiées, à court et à long terme, et assure la coor­di­na­tion et la progres­si­vité des appren­tis­sages réali­sés en centre de forma­tion et en entre­prise

– Le pres­ta­taire met en œuvre un accom­pa­gne­ment socio-profes­sion­nel, éduca­tif et rela­tif à l’exer­cice de la citoyen­neté.

– Le pres­ta­taire informe les appren­tis de leurs droits et devoirs en tant qu’ap­pren­tis et sala­riés ainsi que des règles appli­cables en matière de santé et de sécu­rité en milieu profes­sion­nel.

– Lorsque le pres­ta­taire met en œuvre des forma­tions condui­sant à une certi­fi­ca­tion profes­sion­nelle, il s’as­sure que les condi­tions de présen­ta­tion des béné­fi­ciaires à la certi­fi­ca­tion respectent les exigences formelles de l’au­to­rité de certi­fi­ca­tion.

Critère 4

L’adap­ta­tion des moyens péda­go­giques, tech­niques et d’en­ca­dre­ment des pres­ta­tions lors de la mise en œuvre des actions. (même critère retra­vaillé)

– Le pres­ta­taire met à dispo­si­tion ou s’as­sure de la mise à dispo­si­tion des moyens humains et tech­niques adap­tés et d’un envi­ron­ne­ment appro­prié (condi­tions, locaux, équi­pe­ments, plateaux tech­niques…)

– Le pres­ta­taire mobi­lise et coor­donne les diffé­rents inter­ve­nants internes et/ou externes (péda­go­giques, admi­nis­tra­tifs, logis­tiques, commer­ciaux …)

– Le pres­ta­taire met à dispo­si­tion du béné­fi­ciaire des ressources péda­go­giques et permet à celui-ci de se les appro­prier

– Le pres­ta­taire dispose d’un person­nel dédié à l’ap­pui à la mobi­lité natio­nale et inter­na­tio­nale, d’un réfé­rent handi­cap et d’un conseil de perfec­tion­ne­ment

Critère 5 

La quali­fi­ca­tion et la profes­sion­na­li­sa­tion des person­nels char­gés des pres­ta­tions. (même critère retra­vaillé)

– Le pres­ta­taire déter­mine, mobi­lise et évalue les compé­tences des diffé­rents inter­ve­nants internes et/ou externes, adap­tées aux pres­ta­tions

– Le pres­ta­taire entre­tient et déve­loppe les compé­tences des person­nels sala­riés, adap­tées aux pres­ta­tions

Critère 6 

L’ins­crip­tion du pres­ta­taire dans son envi­ron­ne­ment socio-écono­mique. (le nouveau critère)

– Le pres­ta­taire réalise une veille légale et régle­men­taire sur le champ de la forma­tion profes­sion­nelle

– Le pres­ta­taire réalise une veille sur les évolu­tions des compé­tences, des métiers et des emplois dans ses secteurs d’in­ter­ven­tion, et en exploite les résul­tats

– Le pres­ta­taire réalise une veille sur les inno­va­tions péda­go­giques et tech­no­lo­giques permet­tant une évolu­tion de ses pres­ta­tions

– Le pres­ta­taire mobi­lise les exper­tises, outils et réseaux néces­saires pour l’ai­der à accueillir, accom­pa­gner/former ou orien­ter les publics en situa­tion de handi­cap

– Lorsque le pres­ta­taire fait appel à la sous-trai­tance ou au portage sala­rial, il s’as­sure du respect de la confor­mité au présent réfé­ren­tiel

– Lorsque les pres­ta­tions dispen­sées au béné­fi­ciaire comprennent des périodes de forma­tion en situa­tion de travail, le pres­ta­taire mobi­lise son réseau de parte­naires socio-écono­miques pour co-construire l’in­gé­nie­rie de forma­tion et favo­ri­ser l’ac­cueil en entre­prise

– Le pres­ta­taire déve­loppe des actions qui concourent à l’in­ser­tion profes­sion­nelle ou la pour­suite d’étude

Critère 7

La mise en œuvre d’une démarche d’amé­lio­ra­tion par le trai­te­ment des appré­cia­tions et des récla­ma­tions (l’an­cien critère 6 retra­vaillé) 

– Le pres­ta­taire recueille les appré­cia­tions des parties prenantes : béné­fi­ciaires, finan­ceurs, équipes péda­go­giques et entre­prises concer­nées

– Le pres­ta­taire met en œuvre des moda­li­tés de trai­te­ment des diffi­cul­tés rencon­trées par les parties prenantes, des récla­ma­tions expri­mées par ces dernières, des aléas surve­nus en cours de pres­ta­tion

– Le pres­ta­taire met en œuvre des mesures d’amé­lio­ra­tion à partir de l’ana­lyse des appré­cia­tions et des récla­ma­tions


Des enjeux pluriels susci­tés par la notion de qualité

Une nouvelle obli­ga­tion pour les OPAC, une source de profes­sion­na­li­sa­tion des acteurs du secteur ?

Les évolu­tions de cette norme qualité renforcent ainsi les exigences à satis­faire pour pouvoir béné­fi­cier des fonds publics et mutua­li­sés, désor­mais gérés et centra­li­sés par la Caisse des Dépôts et des Consi­gna­tions (CDC). 

La réforme intro­duit un chan­ge­ment d’im­por­tance puisque les Orga­nismes Pres­ta­taires d’Ac­tions concou­rant au déve­lop­pe­ment des Compé­tences (OPAC) se voient obli­gés, à hori­zon janvier 2021, de s’ali­gner sur ce nouveau cadre légal pour obte­nir le précieux sésame, cette nouvelle “certi­fi­ca­tion qualité”. Jusqu’alors, le respect des indi­ca­teurs, justi­fiés à l’aide de preuves, permet­tait le réfé­ren­ce­ment dans Data­dock (base de données réfé­rençant les orga­nismes de forma­tion profes­sion­nelle. La nouvelle certi­fi­ca­tion qualité est, quant à elle, déli­vrée par des orga­nismes certi­fi­ca­teurs accré­di­tés par le Comité Français d’Ac­cré­di­ta­tion (le Cofrac) selon le nouveau Réfé­ren­tiel Natio­nal Qualité (RNQ) de France Compé­tences, à l’is­sue d’un audit. On passe ainsi d’une logique de réfé­ren­ce­ment à une logique de certi­fi­ca­tion. 

Cette réforme de la “qualité” a suscité de nombreux échanges et débats entre les acteurs du secteur. Ceux-ci ont, légi­ti­me­ment, touché aux moda­li­tés concrètes d’ob­ten­tion de cette nouvelle certi­fi­ca­tion ou encore à la mise en évidence des évolu­tions induites par le passage de l’an­cienne et à la nouvelle norme (Croüs, 2019, voir aussi par exemple cette compa­rai­son de Johann Vida­lenc). L’en­semble de ces mesures, et notam­ment le nouveau critère, s’ins­crivent ainsi dans une dyna­mique de plus long terme, amorcé dès les années 80 (Bogard, 2001) : celui d’une pour­suite de la profes­sion­na­li­sa­tion des acteurs du secteur de la forma­tion profes­sion­nelle avec l’in­tro­duc­tion d’un nouveau critère prévoyant, entre autres, des acti­vi­tés de veilles régle­men­taires et tech­no­lo­giques. 

Quelles consé­quences pour les OPAC ? Si l’on estime qu’il existe 86 000 orga­nismes de forma­tion profes­sion­nelle en France (Cnefop, 2018), rappe­lons qu’un an après la créa­tion de Data­dock, plus de la moitié de ces orga­nismes de forma­tion ne sont pas encore parve­nus à y être réfé­ren­cés, c’est-à-dire à prou­ver le respect des six critères qualité de la loi de 2015. On peut ainsi suppo­ser que l’en­trée en vigueur de cette loi conduira à une nouvelle réduc­tion du nombre d’ac­teurs en mesure de propo­ser des actions de forma­tion finan­cées sur les fonds publics mutua­li­sés.

La qualité des effets susci­tés par la FPC sur le marché du travail : un objec­tif écono­mique stra­té­gique dans la société de la connais­sance

Au-delà d’un d’ali­gne­ment légal et d’une régu­la­tion du secteur par les pouvoirs publics, d’autres enjeux concer­nant cette notion de qualité dans le marché de la forma­tion profes­sion­nelle peuvent être rappe­lés, (notion que Le Douraon quali­fiait d’ailleurs de “concept valise” (1996)).

En effet, histo­rique­ment, le déve­lop­pe­ment de cet enjeu de qualité a été asso­cié à un objec­tif stra­té­gique de la forma­tion profes­sion­nelle : celui de mieux faire corres­pondre l’offre de main d’oeuvre aux besoins du marché du travail. L’éva­lua­tion de la qualité d’une forma­tion s’ef­fec­tue alors dans une pers­pec­tive écono­mique. Elle doit contri­buer à garan­tir et accroître la compé­ti­ti­vité des écono­mies natio­nales et euro­péennes (Bonamy & Manenti, 2001). La problé­ma­tique de la qualité est ainsi asso­ciée à celle de l’ef­fi­ca­cité écono­mique, dans un enjeu englo­bant les trans­for­ma­tions du marché du travail. On retrouve d’ailleurs bien ces cinq grands enjeux dès le début des années 90 dans le traité de Maas­tricht*. La qualité du système de forma­tion profes­sion­nelle s’éva­lue à l’aune de ses effets sur le marché de l’em­ploi, sur sa capa­cité à accom­pa­gner les restruc­tu­ra­tions et muta­tions des emplois, à l’émer­gence de nouveaux métiers, à la recon­nais­sance des nouvelles compé­tences (Bogard, 2001). 

Dans cette pers­pec­tive, l’in­tro­duc­tion du nouveau critère et notam­ment les indi­ca­teurs sur la “réali­sa­tion d’une veille sur les évolu­tions des compé­tences, des métiers et des emplois dans ses secteurs d’in­ter­ven­tions” ainsi que celui de la mise en oeuvre “d’ac­tions concou­rant à l’in­ser­tion profes­sion­nelle ou à la pour­suite d’étude” peuvent être perçus comme des signaux forts de la volonté des pouvoirs publics de renfor­cer ce lien et les effets du passage par la forma­tion sur l’em­ploi et les carrières profes­sion­nelles. 

La stra­té­gie de certi­fi­ca­tion : un enjeu écono­mique pour les OPAC en vue de se distin­guer sur un marché concur­ren­tiel et opaque

Un autre enjeu struc­tu­rant dans la réflexion sur la qualité tient à l’uti­li­sa­tion des labels, de chartes ou de certi­fi­ca­tions qualité par les OPAC comme un atout stra­té­gique en vue de gagner des parts de marché en convainquant de (futurs) clients de leur effi­ca­cité (Kremer, 2001), de se distin­guer sur un marché parti­cu­liè­re­ment concur­ren­tiel. Comme l’ex­pri­mait Morier dès les années 2000 : 

En réa­li­té, les labels four­nissent un certain degré de réfé­rence sur l’or­ga­nisme pres­ta­taire, sur sa santé finan­cière, son sérieux et son respect de quelques règles déon­to­lo­giques. Mais ils n’offrent aucune garan­tie parti­cu­lière ni sur la quali­té même du proces­sus forma­tion qui sera conduit, ni sur les inter­ve­nants. (…). Il importe d’ailleurs de ne pas sous-esti­mer l’in­té­rêt commer­cial que repré­sente l’image d’un label face au marché des pres­ta­tions; c’est proba­ble­ment l’une des prin­ci­pales raisons de l’en­ga­ge­ment des opé­ra­teurs dans ces démarches. (Morier, 2001, p. 153)

En janvier 2021, la nouvelle obli­ga­tion légale aura contri­bué à distin­guer les OPAC en capa­cité de réagir et de s’ali­gner, d’ad­mi­nis­trer les preuves, de plus en plus fines et précises de la qualité de leurs actions de forma­tion (corres­pon­dant aux sept nouveaux critères). La qualité ne sera plus une manière de se posi­tion­ner sur un marché, de se distin­guer (Vial, 2001; Le Doua­ron, 2001), mais bien une condi­tion néces­saire pour exis­ter.

Cette loi semble contri­buer à la dyna­mique d’une plus grande trans­pa­rence de l’offre sur un marché consi­déré comme opaque, au regard de la diver­sité des acteurs et de l’offre (Bonamy & Manenti, 2001). En mutua­li­sant les critères d’éva­lua­tion au niveau natio­nal, l’ap­pré­cia­tion de la qualité des actions de forma­tion doit permettre de faci­li­ter le choix et l’iden­ti­fi­ca­tion du “bon” pres­ta­taire ou de la “bonne” action de qualité pour les ache­teurs (Bonamy & Manenti, 2001 ; Bogard, 2001).

Dans ce contexte de régu­la­tion accrue ainsi que d’une ratio­na­li­sa­tion des dépenses de forma­tions, on peut toute­fois suppo­ser que les OPAC sauront trou­ver ou inven­ter de nouveaux argu­ments pour se distin­guer. 

La qualité de l’ac­tion de forma­tion : le point de vue des appre­nants

Pourquoi pas, d’ailleurs, imagi­ner que ces stra­té­gies de distinc­tion trou­ve­ront désor­mais leur source dans la qualité de l’ex­pé­rience de forma­tion. En effet, pendant long­temps, l’ap­pre­nant a été absent des débats rela­tifs à la qualité, alors même qu’il est l’un des béné­fi­ciaires directs des actions de forma­tions. André Voisin écri­vait d’ailleurs à ce sujet un article au titre éloquent : “l’ap­pre­nant introu­vable” (2001, p. 63). Or, la pres­ta­tion de forma­tion fait inter­ve­nir trois prin­ci­paux acteurs pour lesquels on repère bien que les critères de qualité ne peuvent être les mêmes (Kremer, 2001).Consi­dé­rer le point de vue de l’ap­pre­nant dans la qualité d’une action de forma­tion n’est pour­tant, là encore, pas une chose aisée (surtout pour un orga­nisme de forma­tion qui reste souvent éloi­gné du moment de la collecte des besoins dans le contexte de l’em­ploi).

Diffé­rents niveaux peuvent être pris en compte, par exemple : 

  • L’iden­ti­fi­ca­tion de ses besoins de forma­tion et son adéqua­tion à une offre de forma­tion adap­tée

  • L’iden­ti­fi­ca­tion de son niveau de connais­sances et compé­tences avant de débu­ter la forma­tion 

  • L’iden­ti­fi­ca­tion de ses manières d’ap­prendre et l’offre d’une action de forma­tion adap­tée à son style d’ap­pren­tis­sage

  • L’uti­lité et l’ef­fi­ca­cité susci­tées par le passage en forma­tion en situa­tion de travail, les possi­bi­li­tés de trans­fert.  

Lorsque l’on retient le point de vue de l’ap­pre­nant, la qualité d’une action de forma­tion peut donc tout autant renvoyer aux condi­tions d’ac­cès à la forma­tion, qu’à de l’in­gé­nie­rie de forma­tion pour propo­ser ou sélec­tion­ner une forma­tion adap­tée aux besoins iden­ti­fiés ou encore à la manière de penser et d’adap­ter le dispo­si­tif de forma­tion d’un point de vue péda­go­gique pour soute­nir son appren­tis­sage. La qualité peut aussi tenir aux effets susci­tés par le passage en forma­tion. Il reste que l’éva­lua­tion de ces dimen­sions requiert des critères exigeants et un proces­sus complexe. Dans le décret de 2015,  on repère bien l’in­tro­duc­tion de cette dimen­sion : on cherche à véri­fier que l’or­ga­nisme de forma­tion propose des dispo­si­tifs adap­tés aux  “stagiaires” ou encore à bien recueillir  leurs appré­cia­tions pour progres­ser. Celle-ci est, sous certains aspects, renfor­cée par la nouvelle réforme de la qualité. 

Conclu­sion : une réforme aux effets encore incer­tains 

La prochaine entrée en vigueur de la réforme sur la qualité de la forma­tion profes­sion­nelle s’ins­crit donc dans la conti­nuité d’une dyna­mique visant à sa norma­li­sa­tion. L’Etat devient un régu­la­teur central du secteur et les acteurs de la forma­tion profes­sion­nelle sont de plus en plus enca­drés. Ceux-ci sont censés gagner en profes­sion­na­lisme et le secteur en trans­pa­rence. Leurs actions sont censées être plus adap­tées et effi­caces pour répondre aux besoins écono­miques d’un marché du travail en muta­tion tout en corres­pon­dant au mieux aux besoins de déve­lop­pe­ment des compé­tences des appre­nants.

Cette réforme consti­tue ainsi un réel chal­lenge pour les profes­sion­nels du secteur s’ils veulent pouvoir accé­der aux finan­ce­ments publics mutua­li­sés : leur exis­tence dépend de leur capa­cité à s’adap­ter. Et ce chal­lenge paraît d’au­tant plus impor­tant que l’in­ci­ta­tion à se former, par le canal indi­vi­duel et les fonds mutua­li­sés, est renfor­cée, à l’aide de l’em­blé­ma­tique Compte Person­nel de Forma­tion (CPF).

Il reste que, pour la mise en oeuvre de cette évolu­tion qualité, concer­nant l’en­semble des parties prenantes des acteurs de la forma­tion, devra faire l’objet d’une véri­table évalua­tion. De nombreuses ques­tions restent en suspens quant aux consé­quences de ce chan­ge­ment : 

  • Qu’en est-il des insti­tu­tions qui veille­ront à son appli­ca­tion ? Quels procé­dés et rythmes de contrôle seront rete­nus ? 

  • Quels seront réel­le­ment les OPAC en mesure de s’adap­ter ?  Quelles en seront les consé­quences pour ce secteur ?

  • Cette réforme aura-t-elle des effets sur la manière de conce­voir des dispo­si­tifs de forma­tion profes­sion­nelle ? 

  • Cette réforme de la qualité sera-t-elle une occa­sion de faire évoluer les pratiques et manières de conce­voir des dispo­si­tifs de forma­tion profes­sion­nelle tout en tenant compte des besoins des appre­nants? 

  • Quels seront les impacts pour les appre­nants sur la montée en compé­tence, sur leur effi­ca­cité ou sur le bien-être dans l’em­ploi ? 

  • Ira-t-on vers une plus grande trans­pa­rence des méthodes et des résul­tats de ces évalua­tions ? 

On ne peut que s’ac­cor­der sur le fait que la recherche de la qualité de la forma­tion profes­sion­nelle est un idéal à atteindre. En ce sens, cette réforme offre une belle occa­sion de répondre à ce défi. Mais faut-il encore que tous les acteurs y parti­cipent réel­le­ment, que de l’éner­gie soit allouée pour que colla­borent les diffé­rentes parties prenantes et qu’ils soient en mesure d’éva­luer, à l’aide des indi­ca­teurs adap­tés les efforts et actions qu’ils condui­ront en ce sens. 

*(1) faci­li­ter l’adap­ta­tion aux muta­tions indus­trielles notam­ment par la forma­tion et la recon­ver­sion profes­sion­nelles ; (2) amélio­rer la forma­tion profes­sion­nelle initiale et la forma­tion conti­nue afin de faci­li­ter l’in­ser­tion et la réin­ser­tion sur le marché du travail ; (3) faci­li­ter l’ac­cès à la forma­tion profes­sion­nelle et favo­ri­ser la mobi­lité des forma­teurs ainsi que des personnes en forma­tion et notam­ment des jeunes ; (4) stimu­ler la coopé­ra­tion en matière de forma­tion entre établis­se­ments d’en­sei­gne­ment ou de forma­tion et entre­prises ; (5) déve­lop­per l’échange d’in­for­ma­tions et d’ex­pé­riences sur les ques­tions communes aux systèmes de forma­tion des Etats membres.

Réfé­rences biblio­gra­phiques 

Bogard, G. (2001). LEs trois âges de l’Eu­rope de la forma­tion : la qualité comme levier. Educa­tion perma­nente, 2(147), 35–62.

Bonamy, J. & Manenti, Y. (2001). Les débats sur la qualité de la forma­tion conti­nue : parti­cu­la­rismes régio­naux et conver­gence euro­péenne. Educa­tion perma­nente, 2(147), 19–34.

Croüs, S. (février 2019). Data­dock VS la future certi­fi­ca­tion qualité appli­cable aux OPAC : chan­ge­ment de regard sur la qualité de la forma­tion profes­sion­nelle.  Dispo­nible ici.

Cnefop (2018). Rapport faisant synthèse des démarche qualité menées dans le champ de la forma­tion profes­sion­nelle, en liai­son avec les finan­ceurs 2017.

Kremer, X. (2001). (Trans)-forma­tion de l’ap­pre­nant et la qualité de la forma­tion. Educa­tion perma­nente, 2(147), 87–97.

Le Douraon, P. (2001). Une vision renou­ve­lée de la qualité en forma­tion : avan­cées et limites. Educa­tion perma­nente, 2(147), 141–150.

Morier, F. (2001). De la qualité de la forma­tion à la recon­nais­sance des forma­tions, Educa­tion perma­nente, 2(147), 151–158.

Vial, M. (2001). Les missions du forma­teur et la qualité : entre dési­gna­tion et attri­bu­tion. Educa­tion perma­nente, 2(147), 117–130.

Voisin, A. (2001). L’ap­pre­nant introu­vable. Educa­tion perma­nente, 2(147), 63–75.

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