Nous avons rencontré Philippe Zilberzahn, spécialiste de l'innovation. Dans un entretien accordé à Unow, il questionne l'avantage des startups par rapport aux entreprises classiques, en matière d'innovation et de culture digitale.
Extrait de la vidéo de formation Culture digitale
Alors on pense souvent que les startups ont un avantage parce-qu’elles sont petites, agiles, réactives dans un monde qui va très vite. Donc ça joue certainement, mais en fait ce n’est pas l’avantage principal qu’elles ont. La vraie difficulté en situation de rupture, si on prend le point de vue d’une entreprise qui existe déjà, c’est qu’elle a déjà une activité et que la rupture va mettre en danger cette activité.
Alors si on prend l’exemple de Kodak qui est tout à fait illustratif, lorsque le numérique apparaît à la fin des années 1990, Kodak sait parfaitement que le numérique va se développer. Mais Kodak a une activité principale qui est évidemment la photographie argentique. La difficulté de Kodak, que l’on appelle un dilemme, est que si elle mise tout sur le numérique, elle met en danger son activité argentique et donc elle risque de tout perdre, sans être sûre de gagner le nouveau marché. Mais que si au contraire, elle tente de protéger son activité, elle risque de rater le virage du numérique. Ce qu’elle a finalement fait.
Donc le vrai avantage des startups encore une fois n’est pas tant d’être rapides et agiles, qu’au fond de ne pas avoir d’activité historique.
L’un de principaux avantages du digital, c’est l’absence d’actifs physiques en fait. Dans le passé, si vous vouliez ouvrir un magasin, il fallait aller ouvrir ou créer un réseau national, international avec des magasins en propre ou par franchise. Mais ça incluait l’investissement, l’achat et donc un développement forcément à la fois lent et très gourmand en capital. Aujourd’hui, un site de vente en ligne peut être disponible et vendre dans le monde entier en quelques heures. Et donc ajouter un pays ne coûte quasiment plus rien, si ce n’est quelques procédures et une conformité à des règlementations locales.
Plus généralement, des sites de mise en relation comme Drivy, comme BlaBlaCar, au fond sont basés sur un modèle de courtage. Ils mettent en relation des gens et prélèvent une commission sur la transaction. Donc là encore, ils n’ont besoin que de très peu d’actifs physiques. Encore une fois, si Accor Hôtel veut ouvrir un établissement dans un pays, et bien il faut acheter un site, préparer le site, c’est très long et gourmand en capital. Et donc avec une croissance très lente. Airbnb, le site qui permet à tout un chacun de louer, de mettre à disposition une pièce de sa maison peut le faire en quelques secondes, puisque ajouter une pièce ne prendra pas beaucoup de temps.
Donc c’est fondamentalement cette absence d’actifs physiques qui permet au digital d’aller beaucoup plus vite. Alors ça ne veut pas dire pour autant que les sites aujourd’hui en ligne, les sites du digital n’ont pas de besoin en capital. BlaBlaCar par exemple vient de lever récemment 150 millions d’euros, parce-que même un site qui reste essentiellement virtuel a besoin sur place d’une équipe. Et donc quand BlaBlaCar s’installe en Allemagne, ils ont besoin de recruter des gens, d’ouvrir un bureau. Même si encore une fois, ces besoins sont nettement inférieurs à ceux dont auraient besoin une société de location par exemple. Ca c’est la première chose.
La deuxième chose, c’est qu’au-delà de la non nécessité d’avoir des actifs physiques qui va donner un avantage aux startups, elle sont beaucoup plus internes, elles sont dans une dimension culturelle qui va faire que la startup est nativement, dès sa création, dans une culture digitale complète. Alors qu’un grand groupe qui existe parfois depuis très longtemps, qui s’est bâti sur la construction d’actifs physiques, n’aura pas du tout la même culture. Et c’est ce choc culturel, cette concurrence entre deux modèles qui va donner un avantage aux startups et va rendre plus difficile, pour une grande entreprise, l’entrée dans le monde digital.
Alors la bonne nouvelle, c’est que les grands groupes peuvent réussir dans le digital. Il n’y a pas de raison fondamentale qu’un grand groupe ne le puisse pas. En France par exemple la FNAC, distributeur traditionnel depuis les années 1950, a très bien réussi son passage sur le web, notamment en ouvrant un site qui a un succès très important.
La vraie difficulté ça va être effectivement un conflit. On peut reprendre l’exemple de la FNAC, entre son site web et ses magasins. En effet, l’enseigne pourrait considérer qu’une vente faite via le site web est une vente perdue par un magasin. Et donc, l’entité qui gère le magasin pourrait voir le site web comme un concurrent et donc s’opposer à son lancement. Ce conflit entre l’activité existante et l’innovation de rupture, ici le web, c’est ce qui gène principalement les grandes entreprises. Et donc la question va être de gérer ce conflit qui est à deux niveaux :
Il y a de nombreux exemples dont un que l’on peut citer qui est la chaîne de distribution et de location de cassette vidéo Blockbuster. Alors les cassettes vidéos, ça vous rappelle peut-être quelque chose. Pendant des années, Blockbuster était le leader mondial de la location de cassette, avec des centres dans le monde entier. Arrive à la fin des années 1990 Netflix, cette plateforme qui vous permet de regarder un film en vidéo à la demande. Le numérique tue la notion même de cassette vidéo et là, c’est le produit lui-même qui est remis en cause par le numérique.
Donc, le conflit entre l’innovation de rupture et l’activité historique de l’entreprise peut se manifester de différentes façons. Et l’enjeux de l’entreprise pour qu’elle réussisse dans le numérique, va être de gérer ce conflit. Une de manières de gérer ce conflit, c’est traditionnellement de loger l’innovation de rupture dans une entité relativement autonome. Et donc en la logeant dans une entité à part, on la protège en quelque sorte de l’activité historique qui est en général dominante et beaucoup plus importante. Et on lui laisse le temps de grandir pour se développer. On peut comme ça gérer les deux business sans qu’il n'y est de conflit. Donc il n’y a pas de fatalité, les entreprises existantes peuvent réussir dans le digital.
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