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Le digi­tal, avan­tage des star­tups ?

Philippe Zilber­zahn, ensei­gnant à l’EML de Lyon­donne son avis sur l’avan­tage des star­tups par rapport aux entre­prises clas­siques

Par Pierre Monclos – Le 15 septembre 2016

Nous avons rencon­tré Philippe Zilber­zahn, spécia­liste de l’in­no­va­tion. Dans un entre­tien accordé à Unow, il ques­tionne l’avan­tage des star­tups par rapport aux entre­prises clas­siques, en matière d’in­no­va­tion et de culture digi­tale.


Extrait de la vidéo de forma­tion Culture digi­tale

Face à une inno­va­tion de rupture, pourquoi les star­tups ont-elles un avan­tage ?

Alors on pense souvent que les star­tups ont un avan­tage parce-qu’elles sont petites, agiles, réac­tives dans un monde qui va très vite. Donc ça joue certai­ne­ment, mais en fait ce n’est pas l’avan­tage prin­ci­pal qu’elles ont. La vraie diffi­culté en situa­tion de rupture, si on prend le point de vue d’une entre­prise qui existe déjà, c’est qu’elle a déjà une acti­vité et que la rupture va mettre en danger cette acti­vité

Alors si on prend l’exemple de Kodak qui est tout à fait illus­tra­tif, lorsque le numé­rique appa­raît à la fin des années 1990, Kodak sait parfai­te­ment que le numé­rique va se déve­lop­per. Mais Kodak a une acti­vité prin­ci­pale qui est évidem­ment la photo­gra­phie argen­tique. La diffi­culté de Kodak, que l’on appelle un dilemme, est que si elle mise tout sur le numé­rique, elle met en danger son acti­vité argen­tique et donc elle risque de tout perdre, sans être sûre de gagner le nouveau marché. Mais que si au contraire, elle tente de proté­ger son acti­vité, elle risque de rater le virage du numé­rique. Ce qu’elle a fina­le­ment fait.

Donc le vrai avan­tage des star­tups encore une fois n’est pas tant d’être rapides et agiles, qu’au fond de ne pas avoir d’ac­ti­vité histo­rique.

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Pourquoi l’avan­tage des star­tups sur les acteurs établis est-il parti­cu­liè­re­ment fort dans le digi­tal ?

Les actifs physiques ralen­tissent la crois­sance

L’un de prin­ci­paux avan­tages du digi­tal, c’est l’absence d’ac­tifs physiques en fait. Dans le passé, si vous vouliez ouvrir un maga­sin, il fallait aller ouvrir ou créer un réseau natio­nal, inter­na­tio­nal avec des maga­sins en propre ou par fran­chise. Mais ça incluait l’in­ves­tis­se­ment, l’achat et donc un déve­lop­pe­ment forcé­ment à la fois lent et très gour­mand en capi­tal. Aujour­d’hui, un site de vente en ligne peut être dispo­nible et vendre dans le monde entier en quelques heures. Et donc ajou­ter un pays ne coûte quasi­ment plus rien, si ce n’est quelques procé­dures et une confor­mité à des règle­men­ta­tions locales.

Plus géné­ra­le­ment, des sites de mise en rela­tion comme Drivy, comme BlaBla­Car, au fond sont basés sur un modèle de cour­tage. Ils mettent en rela­tion des gens et prélèvent une commis­sion sur la tran­sac­tion. Donc là encore, ils n’ont besoin que de très peu d’ac­tifs physiques. Encore une fois, si Accor Hôtel veut ouvrir un établis­se­ment dans un pays, et bien il faut ache­ter un site, prépa­rer le site, c’est très long et gour­mand en capi­tal. Et donc avec une crois­sance très lente. Airbnb, le site qui permet à tout un chacun de louer, de mettre à dispo­si­tion une pièce de sa maison peut le faire en quelques secondes, puisque ajou­ter une pièce ne pren­dra pas beau­coup de temps.

L’avan­tage des star­tups : un déve­lop­pe­ment plus rapide et moins d’in­ves­tis­se­ments

Donc c’est fonda­men­ta­le­ment cette absence d’ac­tifs physiques qui permet au digi­tal d’aller beau­coup plus vite. Alors ça ne veut pas dire pour autant que les sites aujour­d’hui en ligne, les sites du digi­tal n’ont pas de besoin en capi­tal. BlaBla­Car par exemple vient de lever récem­ment  150 millions d’eu­ros, parce-que même un site qui reste essen­tiel­le­ment virtuel a besoin sur place d’une équipe. Et donc quand BlaBla­Car s’ins­talle en Alle­magne, ils ont besoin de recru­ter des gens, d’ou­vrir un bureau. Même si encore une fois, ces besoins sont nette­ment infé­rieurs à ceux dont auraient besoin une société de loca­tion par exemple. Ca c’est la première chose.

Des star­tups ancrées dans la culture digi­tale

La deuxième chose, c’est qu’au-delà de la non néces­sité d’avoir des actifs physiques qui va donner un avan­tage aux star­tups, elle sont beau­coup plus internes, elles sont dans une dimen­sion cultu­relle qui va faire que la star­tup est nati­ve­ment, dès sa créa­tion, dans une culture digi­tale complète. Alors qu’un grand groupe qui existe parfois depuis très long­temps, qui s’est bâti sur la construc­tion d’ac­tifs physiques, n’aura pas du tout la même culture. Et c’est ce choc cultu­rel, cette concur­rence entre deux modèles qui va donner un avan­tage aux star­tups et va rendre plus diffi­cile, pour une grande entre­prise, l’en­trée dans le monde digi­tal.

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Les grands groupes peuvent-ils réus­sir dans le digi­tal ?

Alors la bonne nouvelle, c’est que les grands groupes peuvent réus­sir dans le digi­tal. Il n’y a pas de raison fonda­men­tale qu’un grand groupe ne le puisse pas. En France par exemple la FNAC, distri­bu­teur tradi­tion­nel depuis les années 1950, a très bien réussi son passage sur le web, notam­ment en ouvrant un site qui a un succès très impor­tant. 

L’exis­tence d’un conflit entre l’ac­ti­vité exis­tante et l’in­no­va­tion de rupture

La vraie diffi­culté ça va être effec­ti­ve­ment un conflit. On peut reprendre l’exemple de la FNAC, entre son site web et ses maga­sins. En effet, l’en­seigne pour­rait consi­dé­rer qu’une vente faite via le site web est une vente perdue par un maga­sin. Et donc, l’en­tité qui gère le maga­sin pour­rait voir le site web comme un concur­rent et donc s’op­po­ser à son lance­ment. Ce conflit entre l’ac­ti­vité exis­tante et l’in­no­va­tion de rupture, ici le web, c’est ce qui gène prin­ci­pa­le­ment les grandes entre­prises. Et donc la ques­tion va être de gérer ce conflit qui est à deux niveaux :

  • il est d’abord au niveau de la distri­bu­tion. Encore une fois, le site web peut voler en quelque sorte des ventes au réseau normal ;
  • mais le conflit peut être plus profond et porter sur la nature même des produits.

L’exemple de Block­bus­ter

Il y a de nombreux exemples dont un que l’on peut citer qui est la chaîne de distri­bu­tion et de loca­tion de cassette vidéo Block­bus­ter. Alors les cassettes vidéos, ça vous rappelle peut-être quelque chose. Pendant des années, Block­bus­ter était le leader mondial de la loca­tion de cassette, avec des centres dans le monde entier. Arrive à la fin des années 1990 Netflix, cette plate­forme qui vous permet de regar­der un film en vidéo à la demande. Le numé­rique tue la notion même de cassette vidéo et là, c’est le produit lui-même qui est remis en cause par le numé­rique. 

Gérer le conflit pour réus­sir dans le numé­rique

Donc, le conflit entre l’in­no­va­tion de rupture et l’ac­ti­vité histo­rique de l’en­tre­prise peut se mani­fes­ter de diffé­rentes façons. Et l’enjeux de l’en­tre­prise pour qu’elle réus­sisse dans le numé­rique, va être de gérer ce conflit. Une de manières de gérer ce conflit, c’est tradi­tion­nel­le­ment de loger l’in­no­va­tion de rupture dans une entité rela­ti­ve­ment auto­nome. Et donc en la logeant dans une entité à part, on la protège en quelque sorte de l’ac­ti­vité histo­rique qui est en géné­ral domi­nante et beau­coup plus impor­tante. Et on lui laisse le temps de gran­dir pour se déve­lop­per. On peut comme ça gérer les deux busi­ness sans qu’il n’y est de conflit. Donc il n’y a pas de fata­lité, les entre­prises exis­tantes peuvent réus­sir dans le digi­tal.

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Pour résu­mer

  • L’avan­tage prin­ci­pal des star­tups : elles n’ont pas d’ac­ti­vité histo­rique à défendre !
  • Dans le digi­tal, l’ab­sence d’ac­tifs physiques permet de gros­sir plus rapi­de­ment qu’au­pa­ra­vant.
  • Pour réus­sir avec une offre digi­tale, une bonne formule pour une entre­prise établie est d’iso­ler cette nouvelle acti­vité dans une entité auto­nome.
  • L’ac­qui­si­tion d’une culture digi­tale est un proces­sus long et qui concerne tous les niveaux de l’en­tre­prise.


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