Doit-on vraiment consulter le CSE avant d’utiliser une IA ?
Oui, dans la grande majorité des cas.
Par Magali Mezerette – Le 22 mai 2025
Oui, dans la grande majorité des cas. Le Code du travail impose à l’employeur de consulter le comité social et économique (CSE) avant toute introduction de nouvelle technologie susceptible d’impacter l’emploi, les conditions de travail ou l’organisation du travail. Un système d’IA, qu’il soit utilisé pour recruter, évaluer, répartir les tâches ou analyser la performance, entre donc souvent dans ce cadre.
Même si l’outil est présenté comme une « simple assistance », le fait qu’il puisse influer sur les décisions ou automatiser des tâches le rend éligible à la consultation. L’IA n’est pas neutre : elle transforme le travail et ses usages. Ne pas consulter, c’est s’exposer à un risque juridique.
Et en cas de test ou d’expérimentation, faut-il aussi consulter ?
C’est une idée reçue fréquente : « on ne fait que tester ». Pourtant, la jurisprudence a tranché. Une décision du tribunal judiciaire de Nanterre a estimé qu’une phase de test de l’IA constituait déjà une décision de mise en œuvre. Conclusion : même une expérimentation restreinte nécessite la consultation du CSE.
Pourquoi ? Parce que tester un outil sur un petit échantillon de salariés signifie déjà leur confier un nouveau mode de travail, avec des impacts potentiels sur leurs missions, leurs évaluations ou leurs objectifs. Et en droit social, la notion de “décision” s’applique dès lors qu’il y a déploiement, même partiel.
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Quels sont les risques si l’on ne consulte pas le CSE ?
Ils sont réels. En cas de contentieux, le juge peut suspendre le déploiement de l’IA, avec des conséquences importantes si l’outil est déjà intégré aux process. L’entreprise peut également être poursuivie pour délit d’entrave, avec des sanctions à la clé pour l’employeur, y compris au pénal.
Mais au-delà du risque juridique, ne pas consulter peut détériorer le climat social. Si les représentants du personnel découvrent l’outil une fois déployé, le dialogue est rompu. Cela peut créer un effet boomerang : incompréhension, défiance, soupçons sur les usages réels de l’IA, voire blocages.
Une décision rendue en février 2024 par le Tribunal judiciaire de Nanterre a suspendu un projet d’expérimentation d’un outil d’IA au sein d’une entreprise d’assurance. Le juge a estimé que même une phase de test impliquant un petit nombre de salariés constitue une décision d’introduction d’une nouvelle technologie, et donc un motif suffisant pour imposer la consultation préalable du CSE. En l’absence de cette consultation, la procédure a été suspendue.
Ce jugement a fait réagir, car il laisse peu de place à la progressivité dans l’adoption de l’IA. Il montre aussi que les juges n’hésitent pas à s’appuyer sur les textes existants pour encadrer fermement les expérimentations, même limitées.
Sanctions possibles en cas d’absence de consultation
Ne pas consulter le CSE expose à plusieurs risques :
• Suspension du projet IA par décision judiciaire
• Sanction pénale pour délit d’entrave
• Dégradation du dialogue social, avec tensions internes et perte de confiance
• Image publique détériorée, surtout si l’IA est perçue comme remplaçant des emplois
Quels sont les points à aborder avec le CSE ?
Il ne suffit pas d’annoncer l’arrivée d’un outil d’IA. Lors de la consultation, il est essentiel de présenter clairement les finalités du système, les données qu’il utilise, les impacts attendus sur les salariés et les garanties mises en place. En particulier, l’entreprise doit être en mesure d’indiquer si l’IA relève d’un système à haut risque au sens de l’AI Act, auquel cas une analyse d’impact et des mesures spécifiques sont requises.
Il est aussi recommandé d’intégrer cette démarche dans la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP). Cela permet de cadrer l’implémentation dans une logique d’évolution des compétences et d’adaptation des métiers, plutôt que de subir l’IA comme une rupture brutale. Cette approche rassure les représentants du personnel et peut ouvrir la voie à une co-construction du plan de formation.
À lire aussi : AI Act : que doivent faire les RH dès 2025 ?
Comment régulariser une consultation oubliée ?
Si un outil a déjà été mis en œuvre sans consultation du CSE, la meilleure option reste d’ouvrir une discussion au plus vite, en s’appuyant sur une actualité ou une évolution de l’outil comme point de départ. Dans certains cas, la consultation récurrente annuelle sur les orientations stratégiques ou la situation économique et sociale de l’entreprise peut être l’occasion d’intégrer rétroactivement ce sujet, surtout s’il n’a pas généré de conflit ou d’alerte du CSE jusque-là.
Mais attention : si l’omission est pointée par les représentants du personnel, ou s’ils estiment que l’outil génère des impacts significatifs, ils peuvent demander une expertise. Et si le déploiement s’est fait sans aucune information, le risque de suspension ou de poursuite pour entrave existe bel et bien.
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Quels outils concrets mettre en place ?
Au-delà de la consultation, les entreprises doivent se doter d’outils de gouvernance adaptés à l’usage de l’IA. En premier lieu : une charte encadrant les usages internes, y compris les pratiques de type shadow IT, où les salariés utilisent des IA sans autorisation ni contrôle. Cette charte, annexée au règlement intérieur, permet d’indiquer clairement les outils autorisés, les usages acceptés, les données à ne pas traiter, ainsi que les sanctions en cas de non-respect.
Autre levier : intégrer les sujets IA dans les formations obligatoires, notamment sur la confidentialité, la cybersécurité et la non-discrimination. Cela participe à la maîtrise des risques liés à l’usage professionnel de l’intelligence artificielle.
Comment sécuriser l’introduction de l’IA côté RH ?
• Anticiper la consultation du CSE, dès la phase d’expérimentation
• Documenter les objectifs et usages de l’IA
• Associer les représentants du personnel dans une logique de co-construction
• Prévoir une expertise CSE, si nécessaire, pour éclairer le débat
• Mettre en place une charte IA claire, intégrée au règlement intérieur
À lire aussi : Quelles sont les obligations de formation liées à l’IA ?
AI Act : une nouvelle obligation de transparence à venir
À partir du 2 août 2026, l’AI Act européen introduira une obligation de transparence. Toute entreprise utilisant un système d’IA devra en informer les personnes concernées, y compris les salariés. Là encore, cela renforce le rôle du dialogue social : informer, consulter, co-construire l’usage de l’IA devient incontournable.
Comment se préparer concrètement ?
Le cadre juridique actuel – renforcé par l’AI Act – impose aux entreprises d’intégrer le dialogue social dans toute démarche liée à l’IA. Consulter le CSE n’est pas une option : c’est une obligation légale, un levier de sécurisation juridique et un facteur de confiance interne. Mieux vaut prévenir que suspendre.
Entre exigences réglementaires, dialogue social et risques juridiques, l’usage de l’IA en entreprise ne peut plus s’improviser. Pour les fonctions RH, il est crucial de comprendre les nouvelles obligations, de sécuriser les processus en place et d’outiller les équipes.
C’est précisément l’objectif des formations proposées par Unow : permettre aux professionnels RH et aux directions d’anticiper les évolutions réglementaires, de cadrer les usages de l’IA et de se mettre en conformité sans freiner l’innovation.
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