Le CPF co-construit en pratique
Le CPF co-construit est un dispositif qui monte en puissance. Comment le mettre en pratique dans son organisation ?
Par Johann VIDALENC – Le 25 janvier 2023
Le CPF co-construit est un dispositif qui monte en puissance. Sa particularité ? Faire participer l’entreprise au projet de formation individuel du salarié qui mobilise son CPF. Une modalité renforcée depuis 2020 par l’ouverture d’une plateforme dédiée aux entreprises permettant d’alimenter le compte CPF des salarié·es.
Pourquoi parle-t-on de CPF co-construit ?
À l’origine, le CPF est un droit lié à l’individu et déconnecté de l’entreprise. Celui-ci est portable et suit l’actif tout au long de sa carrière.
Bien que le dispositif soit individuel, le compteur CPF a été conçu pour pouvoir être enrichi par d’autres sources, afin de financer des projets de formation parfois onéreux.
Ils sont 14 acteurs à pouvoir réaliser cette opération :
un OPCO ;
la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) ;
les organismes chargés de la gestion de la branche AT/MP ;
l’État ;
les régions ;
Pôle emploi ;
l’Agefiph ;
un FAF de non-salariés ;
une chambre de métiers et de l’artisanat de région ;
une autre collectivité territoriale ;
l’Agence nationale de santé publique ;
l’Unédic ;
le titulaire du compte lui-même ;
l’employeur, lorsque le titulaire du compte est salarié.
Concernant le salarié, c’est l’employeur qui devient l’interlocuteur majeur pour accompagner son passage à l’action et faciliter son départ en formation. Dès lors que l’employeur s’engage dans le projet CPF du salarié, on parle de CPF co-construit.
CPF co-construit : quel intérêt pour le salarié ? Et pour l’employeur ?
Pour le salarié
Les salarié·es développent de plus en plus fréquemment des stratégies individuelles de formation pour développer leurs carrières professionnelles. Cependant, le compteur CPF du salarié ou de la salariée n’est pas toujours suffisant pour financer la totalité du coût de la formation, notamment lorsque celle-ci est longue ou très spécifique. Solliciter de l’aide de la part de son employeur permet de concrétiser son projet sans avoir à puiser dans ses ressources personnelles.
En 2022, le montant moyen sur les compteurs CPF des salarié·es du privé était de 1 814 euros. Un montant insuffisant pour des formations longues et diplômantes pouvant dépasser largement le montant du plafond des droits CPF (fixé à 5 000 euros).
Par ailleurs, les salarié·es seront amenés à payer un reste à charge quand ils utilisent leur CPF suite à un amendement adopté au projet de loi finance 2023. Si ce montant n’est pas encore déterminé (décret d’application prévu début 2023), il y a fort à parier que les demandes de CPF co construit affluent de la part des salarié·es. En effet, ce reste à charge ne serait pas dû en cas de participation financière de l’employeur.
Pour l’employeur
Le CPF co-construit permet de compléter ou de remplacer des formations initialement prévues sur le plan de développement des compétences. Dans un contexte où les entreprises, particulièrement les plus de 50 salariés, puisent essentiellement dans leurs fonds propres pour financer ces formations, partager l’investissement formation s’avère une bonne opération.
Au-delà de l’optimisation financière, la mise en place du CPF coconstruit est un outil de fidélisation et d’attractivité pour les nouveaux salariés. La possibilité de développer ses compétences fait ainsi partie du “pack social” délivré par l’employeur et pèse désormais dans la balance au même titre que le “pack salarial” classique.
CPF co-construit : retours d’expérience
De plus en plus d’entreprises se tournent vers le CPF co-construit pour la formation de leurs collaborateurs.
Source : Étude menée par Unow en 2022
Les pratiques sont diverses : la formation peut être co-financée par le collaborateur et l’entreprise, ou alors, dans la plupart des cas, l’entreprise autorise le collaborateur à se former sur son temps et lieu de travail. Voici un florilège de retours d’expérience.
« Ça nous arrive d’avoir recours au CPF co-construit pour les formations certifiantes ou diplômantes ; on demande au collaborateur d’utiliser tout ou partie de son CPF, et nous finançons le reste à charge. Dans ce cas, nous mettons en place une clause de dédit sur 3 ans : si le collaborateur part avant, il doit rembourser une partie de la formation. »
Jérôme Pesenti, Chef de projet formation – La Française des Jeux
« On pratique le CPF co-construit principalement sur des formations linguistiques. On finance à hauteur de 50%, mais nous n’avons pas énormément de demandes. »
Julie Sanchez, Lead Formation – Extia
« On propose aux collaborateurs d’utiliser leur CPF sur les formations langues et bureautique. On leur donne l’autorisation de se former sur leur temps de travail. Il arrive aussi qu’on demande une participation CPF aux salariés sur certaines formations coûteuses et sur-mesure. »
Orianne Orlowski, Responsable Formation – Alstef
« Depuis deux ans, nous promouvons le CPF co-construit auprès des collaborateurs de Colas. Pour nous, c’est vraiment l’avenir. Nous montons des offres à tarif préférentiel avec des organismes de formation que nous référençons dans notre catalogue sur les sujets soft skills, langues et bureautique.
Les frais pédagogiques sont pris en charge à 100% par le CPF du collaborateur, sa formation se fait sur le temps de travail et nous prenons en charge les frais annexes. »
Hervé Cambier, Directeur Formation et Développement des Talents – Colas
Le co-investissement lors du CPF co-construit : plusieurs modalités
L’investissement de l’employeur dans le projet du salarié peut se matérialiser de 2 façons :
Financièrement, via l’abondement ou la dotation
En temps accordé pour se former
Cet investissement peut être réalisé au cas par cas par l’employeur, ou faire l’objet d’une formalisation qui fixe les modalités et les critères d’abondement de l’employeur.
L’abondement
Le principe : L’employeur prend en charge une partie des coûts de formation en négociant directement avec l’organisme de formation (OF) dispensant la formation
En pratique : L’employeur définit en amont le montant de sa participation et négocie avec l’OF. Celui-ci identifie le salarié concerné et lors de sa demande dans l’application modifie le prix. Il réalise une facture du différentiel à l’entreprise.
Avantages :
Négociation en direct avec l’organisme, et non paiement de la TVA
Visibilité sur l’action de formation suivie par le salarié
Exemple d’un processus d’abondement
L’abondement de co-construction se fait à l’initiative du financeur (ici l’employeur). Ce dernier établit, en amont et en partenariat avec la Caisse des Dépôts, des critères de versement de l’abondement. Si une demande de formation remplit les critères exigés, et qu’un financement complémentaire est requis, alors un abondement sera versé automatiquement. Cette solution, réservée notamment pour les très grosses entreprises, est encore très faiblement utilisée.
La dotation
Le principe : L’employeur réalise un versement directement sur le compteur CPF du salarié qui peut ensuite le mobiliser pour financer son projet.
En pratique : L’employeur a besoin d’une habilitation pour se connecter à l’Espace des Employeurs et des Financeurs (EDEF). Celle-ci est obtenue via Net-Entreprises.fr. Pour plus d’information sur la mise en service : https://www.financeurs.moncompteformation.gouv.fr/demarrer-sur-edef
Avantage :
fluidité du processus
À savoir : Au-delà de la dotation volontaire, d’autres dotations peuvent être réalisées sur cette plateforme.
Synthèse des dotations possibles sur EDEF
Formation sur le temps de travail
L’effort de l’employeur pour soutenir le projet CPF du salarié peut également se faire en temps accordé pour se former. Cette solution peut venir s’ajouter à l’aide financière vue précédemment.
Principe : L’employeur définit une durée sur le temps de travail pendant laquelle le salarié peut se former sur son CPF. Le salarié est rémunéré dans les mêmes conditions qu’une journée travaillée.
Ex : l’employeur accorde à chaque salarié qui mobilise son CPF une durée de 14 heures/an pendant laquelle ils peuvent se former
En pratique : Cette durée peut être décidée de gré à gré entre le salarié et l’employeur en l’absence de formalisation d’une politique CPF.
En cas de formalisation au niveau de l’entreprise, c’est la durée prévue par les textes qui s’appliquent uniformément aux salariés.
Avantages :
Facilite le passage à l’action du salarié
Ne nécessite pas d’avance de fonds (seul le salaire est versé de manière habituelle)
Construire sa politique de CPF co-construit
L’employeur peut s’engager à plusieurs niveaux, selon la maturité sur le sujet, pour mettre en place un politique de CPF co-construit.
Niveau 1 – Sensibiliser les salariés
Les entreprises peuvent réaliser des actions de sensibilisation auprès de leurs salarié·es : prise en main de l’application « Mon Compte Formation » lors d’événements RH par exemple. L’enjeu est également d’informer les salarié·es sur leurs droits CPF ou encore les formations qu’ils peuvent mobiliser.
Niveau 2 – Possibilité de réaliser le CPF sur temps de travail
L’employeur peut donner la possibilité au collaborateur ou à la collaboratrice de se former sur le temps de travail. Cette possibilité peut être autorisée à titre individuel. Toutefois, en cas de mobilisation du CPF par un grand nombre de salarié·es, il est conseillé de fixer un cadre afin de ne pas désorganiser la production. La mise en place d’une durée maximum (ex : 14 heures/an) applicable à tous les salariés est une bonne pratique.
Niveau 3 – Créer un catalogue CPF pour ses salariés
L’employeur intervient comme acheteur, en allant négocier auprès d’un ou plusieurs OF des tarifs pour ses salarié·es.
Cette démarche permet de créer un “catalogue CPF” de l’entreprise au bénéfice pour ses salariés et permet de flécher sa politique CPF sur les formations définies.
Cela facilite le travail de recherche pour les salariés, tout en leur faisant bénéficier de tarifs préférentiels.
Niveau 4 – Négocier un accord d’entreprise sur les abondements du CPF
L’accord d’entreprise sur le CPF co-construit est l’aboutissement d’une négociation entre l’employeur et les partenaires sociaux.
Cela permet de cadrer plusieurs aspects pratiques, notamment :
Abondement en temps de travail. Ex 14 h/an/salarié
Abondement financier. Ex : 200 euros HT/an
Formations concernées. Ex : en lien avec le métier du salarié ou sur une compétence transversale
Populations concernées. Ex : Tous les salariés, avec un minimum de 4 mois d’ancienneté
Ce procédé permet d’assurer une égalité de traitement avec des règles connues de tous. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter un modèle de notre accord CPF co-construit.
Quelques chiffres pour conclure
2,993 Milliards : C’est le montant dépensé sur Mon Compte Formation en 2022 (Droits CPF + abondements).
10 459 : C’est le nombre d’employeurs ayant réalisé une dotation dans le cadre via l’application EDEF depuis fin 2020. Cela concerne 88 131 salariés.
238 millions d’euros : C’est le montant des dotations versées par les employeurs via l’application EDEF depuis fin 2020.
Ce que cela signifie : la part de la dotation employeur est encore marginale sur le marché du CPF, mais cela ne signifie pas pour autant que le CPF coconstruit ne se développe pas. En effet, la possibilité de réaliser une dotation est relativement nouvelle (septembre 2020) et est encore peu connue des employeurs. Il y a donc un temps d’appropriation nécessaire pour les entreprises.
La réalité, c’est qu’une bonne partie du CPF co-construit ne passe pas par de la dotation, mais par un abondement de l’employeur. Cette dernière est une solution qui préexistait au système de dotation. Elle est ainsi plus mature et utilisée par les entreprises. Ce procédé a également le mérite de ne pas faire subir l’effet TVA aux entreprises et de ce fait de minimiser leur investissement comparé à la dotation.
Enfin, c’est cette méthode qui est utilisée dans l’immense majorité des cas pour constituer le ‘catalogue CPF” des entreprises.
La dotation n’est ainsi que la partie visible de l’émergence du CPF co-construit qui devrait s’amplifier dans les mois et années à venir.
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