Tendances formation & IA : ce que les professionnels retiennent (et mettent en œuvre)
5 experts partagent leur vision de l’IA en entreprise et son impact sur la formation, les soft skills et les dispositifs à mettre en place.
Par Iman Miquel – Le 21 novembre 2025
Du côté de la formation, les changements liés à l’IA sont bien réels : nouvelles attentes, nouveaux formats, nouveaux enjeux. Dans le cadre du Printemps de la formation 2025, cinq experts issus d’organisations très différentes ont partagé leur vision de cette transformation.
Quels sont les principaux défis à relever ? Comment accompagner concrètement les collaborateurs ? Et que devient la place des soft skills dans un monde où les outils automatisent de plus en plus de tâches ?
Regards croisés sur leurs visions de l’IA, leurs axes d’action… et ce qu’ils pressentent pour demain.
Le point de vue de Jordan Defas, Learning, Development & Culture Director chez Doctolib
Chez Doctolib, la transformation liée à l’IA est abordée sous deux angles complémentaires. Le premier concerne directement les métiers de la tech et du produit. L’enjeu : intégrer l’intelligence artificielle dès la conception des solutions proposées aux soignants et aux patients. Il ne s’agit pas d’ajouter une couche d’IA sur des outils existants, mais de développer des produits “AI native”, pensés dès le départ pour tirer parti des nouvelles technologies. Cela implique un travail en profondeur avec les équipes data, ingénieurs et développeurs, pour repenser leurs méthodes et intégrer l’IA au cœur de la stratégie produit.
Le second volet s’adresse à l’ensemble des collaborateurs, tous métiers confondus. L’objectif ici est d’utiliser l’IA pour transformer les modes de travail au quotidien : gagner en productivité, se recentrer sur la valeur, et réinvestir le temps libéré dans l’innovation ou la relation utilisateur.
Pour accompagner ces changements, Doctolib a déployé un programme complet : un kit d’onboarding IA, des e-learnings, des masterclass fonction par fonction (ex. marketing, finance, contrôle de gestion), et des hackathons métiers pour résoudre des irritants du quotidien grâce à la création d’assistants IA. Ce dispositif permet à chaque collaborateur de progresser à son rythme, mais aussi de voir très concrètement comment l’IA peut améliorer ses pratiques.
Sur la question des soft skills, Jordan Defas est clair : elles deviennent le principal facteur de différenciation dans un monde du travail transformé. Alors que les tâches techniques et analytiques peuvent être de plus en plus automatisées, la valeur humaine repose sur ce qui ne peut pas être remplacé par la machine : la collaboration, l’intelligence émotionnelle, l’esprit critique, la créativité. Dans cette perspective, apprendre à apprendre, s’adapter, prendre des initiatives ou encore arbitrer les recommandations d’un assistant IA deviennent des compétences clés. Plus que jamais, les soft skills sont au cœur de la performance collective.
À voir : IA et métiers de la formation : comment l’utiliser sans se faire dépasser ?
Le point de vue de Stéphanie Gay, HR & Learning Business Partner chez Kiabi
Chez Kiabi, l’approche de la transformation IA s’est construite à partir d’un élan collectif. Un groupe de volontaires, issus de différents métiers, s’est constitué pour explorer le sujet. Stéphanie Gay s’est emparée du volet formation, avec la conviction qu’on ne pouvait pas former à l’intelligence artificielle comme on forme à un outil classique. Il fallait sortir des schémas habituels, inventer de nouveaux parcours, plus expérientiels et plus inspirants.
Le dispositif mis en place repose d’abord sur une acculturation large, accessible à tous les collaborateurs, dans toutes les langues, via des modules e-learning. L’objectif : poser les bases, expliquer ce qu’est l’IA générative, et transmettre les bonnes pratiques autour du prompt. Mais au-delà de cette première étape, Kiabi mise surtout sur un programme Ambassadeurs IA, en cours de déploiement. Ces ambassadeurs, formés et accompagnés, ont pour mission de diffuser l’usage de l’IA auprès de leurs collègues, dans une logique de proximité, de cas d’usage concrets, et d’autonomie progressive.
Pour Stéphanie Gay, l’enjeu n’est pas uniquement technique. Il s’agit aussi de faire évoluer les représentations, de rassurer, d’embarquer les collaborateurs autour d’un sujet parfois anxiogène. Le pari : faire de l’IA un outil du quotidien, accessible et utile, sans jamais perdre de vue la dimension humaine.
Sur le sujet des soft skills, la responsable formation reste nuancée. Chez Kiabi, ces compétences font déjà partie de l’ADN depuis longtemps, et leur importance ne fait pas débat. Mais ce qui change, ce sont les soft skills à développer en priorité : apprendre à apprendre, faire preuve de recul, analyser une information générée par une IA… tout en continuant à former aux compétences techniques (hard skills) liées à la compréhension des modèles, des données et des algorithmes. Pour Stéphanie Gay, la montée en puissance de l’IA ne doit pas nous faire perdre de vue les gestes métiers et les expertises humaines : le défi est dans l’équilibre.
Le point de vue de Pierre Nicolas, Responsable Formation à la Société Générale
Pour Pierre Nicolas, l’enjeu principal côté formation est clair : acculturer largement les collaborateurs à l’IA, dans toutes ses dimensions. En 2024, la Société Générale a mis en place des formats digitaux accessibles à tous pour expliquer ce qu’est l’IA générative, ses usages, ses avantages… mais aussi ses limites. Le cadre d’utilisation est un point particulièrement sensible dans un contexte bancaire, où la rigueur et la sécurité sont primordiales.
Autre axe de travail : la maîtrise du prompt, considéré comme une compétence de base pour interagir efficacement avec les outils d’IA. Des ateliers ont été organisés en présentiel pour favoriser les échanges de pratiques entre collègues, et confronter les expériences de chacun. Ces sessions ont permis de dépasser le simple mode d’emploi pour aller vers une véritable appropriation métier.
Dans cette transformation, le rôle de la formation est de permettre à chacun de trouver sa place dans un environnement en évolution rapide. Pierre Nicolas insiste sur l’importance de partir des réalités du terrain : quels sont les cas d’usage pertinents ? Quels bénéfices concrets peut-on en tirer dans son propre métier ? L’objectif n’est pas de maîtriser la technologie pour elle-même, mais d’en faire un levier d’efficacité, de créativité et de collaboration.
La montée en puissance de l’IA renforce aussi la nécessité de développer certaines compétences humaines. Pour Pierre Nicolas, les soft skills prioritaires sont la pensée critique, la créativité et la communication. Il s’agit de savoir interagir avec l’IA, de clarifier ses idées, de poser les bonnes questions et d’exercer un regard distancié sur les réponses générées. Autant de compétences transversales qui deviennent des conditions d’un usage responsable et efficace des IA.
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Le point de vue de Céline Hue, Responsable Formation BU France Suisse chez RATP Dev
Pour Céline Hue, les enjeux liés à l’IA sont avant tout collectifs. Elle souligne l’importance d’une sensibilisation à grande échelle, avec des formats accessibles à tous les collaborateurs : acculturation aux fondamentaux, compréhension des bénéfices et des limites et appropriation du cadre d’usage. Chez RATP Dev, ces contenus sont proposés sous forme digitale pour toucher largement, mais également en ateliers, notamment autour du prompting, afin de favoriser l’expérimentation.
L’objectif est que chacun comprenne l’intérêt de l’IA pour son métier et puisse l’utiliser en toute conscience, en étant rassuré et formé, même sans appétence technique initiale.
Côté compétences, Céline Hue insiste sur le renforcement des soft skills dans ce contexte de transformation. Dans le secteur du transport, où les formations techniques sont nombreuses et réglementées, il est essentiel d’accompagner les collaborateurs sur leurs postures et leurs aptitudes humaines. Communication, adaptabilité, gestion des conflits, travail en équipe : autant de dimensions renforcées par les transformations à l’œuvre.
Mais l’arrivée de l’IA appelle aussi des compétences nouvelles. Céline Hue alerte sur le fait que les soft skills ne suffisent pas à elles seules : il faut aussi des expertises techniques pour comprendre, analyser et encadrer l’IA. Savoir si un algorithme produit une réponse biaisée ou erronée, par exemple, demande une capacité d’analyse critique et une certaine culture des données. Elle appelle donc à ne pas opposer hard et soft skills, mais à les développer en parallèle pour réussir la transformation.
Le point de vue de Naomi Follet, Talent Development Manager chez Cheerz
Chez Cheerz, l’intégration de l’IA repose sur une démarche ambitieuse et structurée, pensée à la fois pour les équipes tech et pour l’ensemble des collaborateurs. L’entreprise a noué un partenariat stratégique avec Dust, acteur français de l’intelligence artificielle, afin de permettre à chaque salarié de créer ses propres assistants IA pour faciliter ses tâches du quotidien.
Côté formation, cette transformation s’organise autour d’un programme en deux volets :
Un accompagnement des équipes tech et produit, avec des sessions de formation dédiées pour renforcer leur expertise IA ;
Un socle de sensibilisation commun, composé d’un e-learning et d’un kit d’onboarding, pour initier l’ensemble des équipes au prompting et aux usages fondamentaux de l’IA.
Une charte d’usage a également été mise en place pour garantir un usage éthique, responsable et sécurisé des outils IA. L’objectif est clair : rendre chaque collaborateur autonome et compétent face à cette nouvelle technologie.
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Une certitude partagée : former est un levier stratégique pour réussir la transformation IA
Au fil des témoignages, un constat s’impose : l’IA génère autant d’opportunités que de bouleversements, et la formation est au cœur de cette transformation.
Qu’il s’agisse de développer une culture commune de l’IA, d’équiper les collaborateurs d’outils adaptés, de les rendre autonomes face aux nouveaux usages ou de renforcer des compétences humaines essentielles, les directions formation ont un rôle clé à jouer. Un rôle qui ne se limite pas à suivre la vague technologique, mais bien à la structurer, à l’incarner et à l’orienter, pour que l’intelligence artificielle devienne un levier d’efficacité, d’innovation et de cohésion dans les organisations.
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